DOCTOR SLEEP (2019) de Mike Flanagan [Critique]

Évaluation du dossier : 4/5 []

Encore profondément marqué par le traumatisme qu'il a vécu, enfant, à l'Overlook Hotel, Danny Torrance a dû se battre pour tenter de trouver un semblant de sérénité. Mais quand il rencontre Abra, courageuse adolescente aux dons extrasensoriels, ses vieux démons resurgissent. L'adolescente, consciente que Dan a les mêmes pouvoirs qu'elle, le pousse à engager une lutte implacable contre la redoutable Rose Claque qui, depuis des siècles, avec sa bande, chasse les innocents dotés du Shining afin d'entretenir leur immortalité...


Se construisant patiemment une solide filmographie aux qualités croissantes, Mike Flanagan joue les équilibristes en se lançant dans l'adaptation de Doctor Sleep. Malgré quelques petites ombres au tableau, devant l'ampleur des difficultés à surmonter et en dépit de sa contre-performance au box-office, le pari est relevé haut la main.

En se lançant dans l’adaptation de Doctor Sleep, Mike Flanagan plongeait dans un véritable sac de nœuds qui s'annonçait très compliqué à défaire. Fallait-il rester fidèle à la mini-série de Mick Garris et aux deux romans de Stephen King et se détacher de l’adaptation très libre de Stanley Kubrick ? Ou à l'inverse, valait-il mieux poursuivre le travail du réalisateur d'Orange mécanique et tenter d'y réintégrer celui de Stephen King, formant ainsi une entité nouvelle qui pourrait mettre tout le monde d'accord (ou creuser encore davantage le fossé chez ceux qui ont choisi leur version officielle ?). C'est vers cette deuxième solution que s'oriente courageusement Mike Flanagan, cinéaste doué qui, avec Doctor Sleep, poursuit son ascension artistique accentuée depuis son élégante série The Haunting of Hill House


Ainsi, il reprend des éléments majeurs de l'adaptation cinématographique de Stanley Kubrick qui n'existaient pas dans le roman (ou ont été profondément modifiés) comme le labyrinthe géant, les flots de sang qui s'écoulent de l'ascenseur, la hache de Jack, la mort de Dick Hallorann, et les combine ingénieusement à ceux du roman originel. Cet acte, qui pourrait rebuter les puristes, semble ainsi inévitable pour faire le pont avec sa suite. Réapparaissent ainsi des éléments et problématiques liés à l’alcoolisme de Jack Torrance ou au sort de l'Overlook, éludés à l'époque par Stanley Kubrick, au grand désespoir de Stephen King. Enfin, le cinéaste apporte aussi quelques changements à la séquelle du King parue en 2013, comme l'apparence des membres de la tribu du "Nœud vrai" ou encore les connotations sexuelles de leur rituel ici complètement esquivées. 


La dimension vampirique demeure néanmoins présente en filigrane chez cette secte qui traverse les routes américaines et le temps avec la même constance. Les membres doivent en effet se nourrir régulièrement de leurs proies en aspirant leur énergie pour s'assurer la jeunesse éternelle. L'auteur s'amusant dans la foulée des aléas de la vie moderne qui influent sur la qualité nutritive de leurs repas. Dans cette approche moderne du mythe du vampire combinée aux tracas de ce groupe de marginaux, difficile de ne pas songer à un incontournable du film de vampire contemporain, Aux frontières de l'aube de Kathryn Bigelow.

Question frousse, on ne peut pas dire qu'elle soit véritablement au rendez-vous. Néanmoins, le film prodigue régulièrement de généreuses doses de frissons, Mike Flanagan ayant toujours préféré cette peur sourde, qui n'explose que rarement, à la surenchère en termes de jump scares. La bonne nouvelle étant que ces derniers sont loin d’être nécessaires tant le récit à lui seul offre de véritables moments de tension sans gros temps mort sur 2 h 30 de métrage, soutenus notamment par la bande-son glaçante des Newton Brothers. Outre la mise en scène rigoureuse du réalisateur de The Haunting of Hill House, qui assure aussi le montage, on retrouve Michael Fimognari à la photographie, fidèle du cinéaste qui aura la lourde responsabilité de retourner des scènes de Shining avec toutes les difficultés que l'on imagine pour imiter l'inimitable.


Du côté de la distribution des rôles, l’efficacité est de mise. Ewan McGregor (Trainspotting, prélogie Star Wars) est parfait dans le rôle de Danny, torturé par son passé et un pouvoir qu'il va mettre du temps à apprivoiser et Rebecca Ferguson (Life : origine inconnue) dans celui de la charismatique Rose "Claque", s'avère aussi séduisante qu’impitoyable. On peut également citer pêle-mêle la jeune et pas moins brillante Kyliegh Curran, époustouflante Abra, Cliff Curtis (Sunshine) qui incarne le sympathique Billy Freeman, Emily Alyn Lind (Dans le noir). Absolument parfaite dans le rôle d'Andi la Piquouse, elle constitue en revanche un rendez-vous avorté avec un personnage qui aurait mérité un bien meilleur traitement scénaristique. Soulignons aussi la présence de Carel Struycken (Twin Peaks), de Bruce Greenwood (Jessie), du jeune Jacob Tremblay (Extraterrestrial, Oppression, Ne t'endors pas) ou encore les prestations inattendues de Alex Essoe (Tales of Halloween, Starry Eyes) et Roger Dale Floyd, voire très inattendues de Carl Lumbly (A Cure for Life) et Henry Thomas (The Haunting of Hill House).


S'en tirant avec les honneurs au vu de l'écueil que représentait une telle adaptation cinématographique, Mike Flanagan nous offre son regard de fan – il revendique régulièrement son amour pour le film de Stanley Kubrick – bien que par moment discutable, parfaitement écrit et très loin d'être honteux. Au contraire, il réussit l'exploit d'offrir une expérience cinématographique ultime, celle de la réconciliation entre deux visions auxquelles il rend hommage dans la foulée. Il est inutile de préciser que ce projet totalement fou n'aurait jamais abouti sans la validation de Stephen King lui-même. Ce qui confirme deux choses sur notre écrivain horrifique préféré : sa grande ouverture d'esprit et surtout l'envie de faire, tel Danny avec l'Overlook, table rase d'un passé douloureux concernant l'expérience Shining. Tout est bien qui finit bien, d'une certaine manière...
N.F.T.

EN BREF
titre original : Doctor Sleep
distribution : Ewan McGregor, Rebecca Ferguson, Kyliegh Curran...
pays d'origine : États-Unis / Royaume-Uni
budget : 45 000 000 $
année de production : 2019
date de sortie française : 30 octobre 2019
durée : 151 minutes
adrénomètre : ♥
note globale : 4/5

† EXORCISME †
▲ Réalisation soignée
▲ Surprenant
▲ Intense

- DÉMYSTIFICATION -
▼ Peu effrayant
▼ Changement des acteurs de Shining assez perturbant
▼ Personnage d'Andi la Piquouse insuffisamment développé  

LE FLIP
Le meurtre éprouvant et lancinant de Bradley Trevor.

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