Évaluation du dossier : 4.5/5 [♠]
Susie Bannion, jeune danseuse américaine, débarque à Berlin dans l'espoir d'intégrer la célèbre compagnie de danse Helena Markos. Madame Blanc, sa chorégraphe, impressionnée par son talent, promeut Susie danseuse étoile. Tandis que les répétitions du ballet final s’intensifient, les deux femmes deviennent de plus en plus proches. C’est alors que Susie commence à faire de terrifiantes découvertes sur la compagnie et celles qui la dirigent…
Avec un projet aussi casse-gueule – soit "remaker" une œuvre d'art formellement aboutie qui se suffisait à elle-même – Luca Guadagnino affichait un potentiel goût pour le sadomasochisme. Cependant, sa relecture du classique de Dario Argento parvient à se légitimer, dans sa très libre approche de l'œuvre originelle.
Parler de "remake justifié" a beau être la plupart du temps aussi vulgaire qu'une tapineuse maquillée à la truelle et vêtue d'une minijupe en peau de léopard, c'est bien cet inaccessible graal que Luca Guadagnino est parvenu à toucher du doigt. En effet, le réalisateur de A Bigger Splash et Call me by your Name repense l'intégralité du travail de Dario Argento qu'il ne souhaite visiblement pas moderniser, comme l'aurait fait n'importe quel yes-man en charge du projet. Le cinéaste italien pousse même le principe à fond en prenant systématiquement le contre-pied du matériau d'origine dès qu'il s'en rapproche trop dangereusement. Qu'il en soit ainsi ! Le film se déroulera en 1977, année de sortie du film original et les couleurs baroques initiales deviendront ici ternes et cafardeuses, pour mieux coller à l'esthétique photo des années 70. Quant à l'intense, flippante et inoubliable musique des Goblin, elle laissera la place aux expérimentations sonores plus mystérieuses et envoûtantes de Thom Yorke, chanteur du groupe Radiohead, qui maîtrise autant les nappes synthétiques vaporeuses, que les instruments live. Enfin, l'approche naturaliste sera adoptée pour donner aux – trop – rares séquences horrifiques un aspect brutal, en parfaite opposition avec celles, certes, gores et cauchemardesques, mais aussi plus oniriques et hallucinatoires offerte par un Dario Argento alors en plein pèlerinage dans les paradis artificiels.
De cette volonté de s'inspirer uniquement du pitch de base (une école de danse qui abrite des sorcières), qu'il aurait presque pu développer sous un autre projet tant il se l'approprie, découle une surprenante leçon de remake avec une proposition sophistiquée, torchée par un réalisateur tendance nombriliste que l'on n'attendait pas spécialement dans ce registre. Cette écriture poussée à l'extrême rapprocherait d'office Suspiria 2018 des longues plages contemplatives d'Hérédité ou The Witch plutôt que des productions horrifiques djeuns au timing parfaitement affûté pour donner les doses syndicales de flip, de sexe et d'horreur. Ce qui, au fond, n'est déjà pas si mal. Et le résultat est aussi déroutant qu'hypnotique. Les scènes gores laissent la place ici à des séquences tout aussi éprouvantes, mais plus uniquement limitées à des écoulements d'hémoglobine bien rouge. L'approche naturaliste du réalisateur fait que le spectateur se retrouve prisonnier d'un univers d'autant plus réaliste qu'il se nourrit de l'Histoire et notamment de deux traumatismes qui ont marqué l'Allemagne : le nazisme et la bande à Baader. Un background lourd mais nécessaire pour offrir aux intrigues l'épaisseur suffisante jusqu'au climax saisissant en fin de bobine.
Cependant, le tableau est noirci par la volonté incompréhensible du réalisateur d'intellectualiser jusqu'à l'excès son matériau, au point d'être opaque jusqu'à la frustration pour celui qui s'attend à un récit aussi "limpide" que celui d'Argento. À trop vouloir complexifier son intrigue et en crypter les ramifications, Guadagnino raconte une histoire qui frise parfois l'illisible et le spectateur de se sentir comme le dindon de la farce. Mauvais plan, puisqu'il n'y a sans doute rien de pire au cinéma que de constater que le réalisateur fait tout pour qu'on ne comprenne pas ce qu'il nous raconte. En nous abreuvant pendant 2 h 30 d'actualités d'époque autour de la bande à Baader, en nous racontant les problèmes de conscience d'un vieux psychologue allemand marqué au fer blanc par le nazisme, en nous invitant à vivre de l'intérieur l'implosion d'une communauté de sorcières et en nous faisant les témoins de l'ascension fulgurante d'une danseuse sacrifiée à la cause de son modèle de professeur, Guadagnino ne pouvait pas s'y prendre autrement pour paumer son spectateur. Et le résultat s'avère à ce niveau frustrant et constitue sans doute l'élément de reproche majeur à lui adresser.
Cependant, le tableau est noirci par la volonté incompréhensible du réalisateur d'intellectualiser jusqu'à l'excès son matériau, au point d'être opaque jusqu'à la frustration pour celui qui s'attend à un récit aussi "limpide" que celui d'Argento. À trop vouloir complexifier son intrigue et en crypter les ramifications, Guadagnino raconte une histoire qui frise parfois l'illisible et le spectateur de se sentir comme le dindon de la farce. Mauvais plan, puisqu'il n'y a sans doute rien de pire au cinéma que de constater que le réalisateur fait tout pour qu'on ne comprenne pas ce qu'il nous raconte. En nous abreuvant pendant 2 h 30 d'actualités d'époque autour de la bande à Baader, en nous racontant les problèmes de conscience d'un vieux psychologue allemand marqué au fer blanc par le nazisme, en nous invitant à vivre de l'intérieur l'implosion d'une communauté de sorcières et en nous faisant les témoins de l'ascension fulgurante d'une danseuse sacrifiée à la cause de son modèle de professeur, Guadagnino ne pouvait pas s'y prendre autrement pour paumer son spectateur. Et le résultat s'avère à ce niveau frustrant et constitue sans doute l'élément de reproche majeur à lui adresser.
Néanmoins, Suspiria s'accroche, s'inscrivant paradoxalement dans une logique très contemporaine, celle du renouveau : celui du remake pertinent, animé d'une volonté évidente, quasi cartésienne, de déconstruire – Gordon Green l'a précédé avec Halloween – pour reconstruire une œuvre parallèle et par dessus tout, livrer une vraie proposition de cinéma. Cette renaissance est aussi portée par un discours dans l'ère du temps : la place de la figure féminine au cinéma, renvoyant directement à notre actualité. Centrale, essentielle, forte, tout comme dans Halloween 2018 avec la famille Strode, la femme est ici le coeur du récit, au point de faire jouer le personnage masculin principal par une actrice et de ridiculiser les deux flics piégés par les mégères du clan, toujours prêtes à user de leurs pouvoirs pour réaliser leur propre chasse aux sorcières. Le cinéaste fait alors de Suzie, élève qui s'abandonne à son professeur, Madame Blanc, le symbole de cette renaissance. Ainsi, le vieux schéma dictatorial féministe peu séduisant entretenu par la perfide Markos attend de s'écrouler au profit d'un système plus juste, plus empathique. Car là aussi se démarque la vision de Guadagnino en adoptant, via cette déchirure profonde larvée au sein du clan, une approche moins manichéenne de la sorcellerie. Le cinéaste aime ses sorcières – peu importe la métaphore employée – et le montre au travers des thématiques qu'il aborde autour de la responsabilité, de la morale, de la culpabilité (que le contexte historique vient nourrir), c'est la clarté, l'espoir et l'amour qui guide sa vision, jusque dans sa vibrante séquence finale, post-sabbat.
Pas de réussite non plus sans la partition inspirée du casting, de Dakota Johnson (The Social Network) hypnotisante dans le rôle de Susie Bannion, à Tilda Swinton (Doctor Strange, Constantine) dont l'implication sur le projet frise le génie. On trouve également des performances notables du côté de Chloë Grace Moretz (Laisse-moi entrer, Carrie, La Vengeance, Amityville) ou Mia Goth (A Cure for Life, Le Secret des Marrowbone) victimes impuissantes de la congrégation de sorcières. C'est Angela Winkler (Le Tambour, Dark) qui hérite du rôle de Miss Tanner et l'on retrouve avec plaisir, même si trop brièvement, la Suzy de la version 1977, Jessica Harper, plus de 40 ans après.
Pas de réussite non plus sans la partition inspirée du casting, de Dakota Johnson (The Social Network) hypnotisante dans le rôle de Susie Bannion, à Tilda Swinton (Doctor Strange, Constantine) dont l'implication sur le projet frise le génie. On trouve également des performances notables du côté de Chloë Grace Moretz (Laisse-moi entrer, Carrie, La Vengeance, Amityville) ou Mia Goth (A Cure for Life, Le Secret des Marrowbone) victimes impuissantes de la congrégation de sorcières. C'est Angela Winkler (Le Tambour, Dark) qui hérite du rôle de Miss Tanner et l'on retrouve avec plaisir, même si trop brièvement, la Suzy de la version 1977, Jessica Harper, plus de 40 ans après.
Film féminin et davantage féministe, sur les dictatures qui se rongent de l'intérieur et s'alimentent de leurs erreurs, Suspiria bénéficie d'une richesse thématique étonnante, mais qui peut aussi décontenancer. D'autant qu'il est incompréhensible que Guadagnino mette autant d'énergie à noyer le poisson, au risque de crisper le public, alors qu'il avait toutes les cartes en main pour pondre un chef-d’œuvre absolu. Toutefois, on lui pardonne ses manipulations maladroites pour se focaliser sur l'esthétique globale hyper travaillée, s'offrant même un clin d'oeil au classique Häxan, la sorcellerie à travers les âges dans son dernier acte, son casting précis au service d'un brillant opéra de la souffrance et de la rédemption. Pour un remake, on n'en attendait pas tant...
N.F.T.
N.F.T.
EN BREF
titre original : Suspiria
distribution : Dakota Johnson, Tilda Swinton, Doris Hick, Chloë Grace Moretz, Mia Goth, Jessica Harper...
pays d'origine : Italie / États-Unis
budget : 20 000 000 $
année de production : 2018
date de sortie française : 14 novembre 2018
durée : 152 minutes
adrénomètre : ♠
note globale : 4.5/5
† EXORCISME †
▲ Mise en image soignée
▲ L'approche artistique poussée
▲ La musique aussi entêtante qu'un sortilège
- DÉMYSTIFICATION -
▼ Des longueurs
▼ Très éloigné de l'esprit du film original
▼ Approche cryptique crispante
LE FLIP
Une danse mortelle...
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