[Critique] THE WITCH (2015/2016) de Robert Eggers

Évaluation du dossier : 4.5/5 [♥]

1630, en Nouvelle-Angleterre. William et Katherine, un couple dévot, quitte sa communauté pour s’établir à la limite de la civilisation. Là, ils mènent une vie pieuse avec leurs cinq enfants et cultivent leur lopin de terre au milieu d’une étendue encore sauvage. La mystérieuse disparition de leur nouveau-né et la perte soudaine de leurs récoltes vont rapidement les amener à se dresser les uns contre les autres…

Si The Witch ne finit pas l'année dans le peloton de tête des meilleures sorties, ce sera vraiment que la qualité est montée d'un cran en matière de cinéma d'épouvante. Non pas que son taux d'adrénaline promette des sommets de terreur, mais fort d'une vraie proposition cinématographique, à contre-courant des standards actuels, le premier long-métrage de Robert Eggers mérite effectivement l'honorable réputation acquise depuis son passage au festival de Sundance et plus récemment à Gérardmer.

Une popularité un peu à double tranchant dans la mesure où The Witch, contrairement à It Follows ou Le Projet Blair Witch, ne débarque pas avec un nouveau concept à proprement parler. On fait plutôt face à une œuvre inhabituelle, anachronique, qui sous son apparence austère voire auteurisante, se rapproche du chef-d’œuvre formel, baignant dans un contexte historique fidèlement reconstitué.
 

Après s'être fait les dents en tant que réalisateur sur une poignée de courts métrages, et au sein d'autres postes "artistiques" dont celui de costumier, notamment pour l'audacieux Le Chemin sans retour, Robert Eggers livre une étude comportementale sans fard des membres de cette famille, aveuglément dévoués à leur foi. L'occasion aussi pour le cinéaste de restituer de manière détaillée la Nouvelle-Angleterre du XVIIe siècle et sa population baignée noyée dans un puritanisme extrême, guidée par des croyances irrationnelles. La crainte viscérale des sorcières voleuses d'enfants en est l'une des conséquences.

La préproduction du film ayant pris quatre longues années, le cinéaste, lui-même originaire de Nouvelle-Angleterre où se situe l'action, a disposé du temps nécessaire pour peaufiner ses recherches et coller au plus près de la réalité historique des années 1630. Antérieure de quelques années au célèbre procès des sorcières de Salem, The Witch, essentiellement basé sur la réalité historique, nous plonge en plein intégrisme religieux et souligne son influence profonde sur les foyers de l'époque. Dans ces personnages, s'exprime et surtout s'incarne une partie du mal qui ronge cette famille dévote jusqu'à la folie, dévorée de l'intérieur par la superstition, la peur du péché et de l'enfer. Le dénouement ne faisant qu'ajouter à la férocité et à la cruauté d'un combat perpétuel contre les obscurantismes religieux et qui trouve encore aujourd'hui son triste écho dans notre monde contemporain.


Impossible en évoquant The Witch de ne pas souligner le soin apporté aux décors et les costumes, dont le soucis de réalisme fascine et renforce l'effet d'immersion. Les choix esthétiques participent aussi au troublant magnétisme du métrage. La légère décoloration de l'image accentue l'aspect historique revendiqué et Robert Eggers n'hésite pas à explorer les frontières naturalistes en exploitant les lumières naturelles, ne s'éclairant parfois qu'à la bougie, au point que certaines scènes dans l'obscurité en deviennent anxiogènes tant l'environnement est aussi peu perceptible pour le spectateur que pour les personnages.

Justement, niveau adrénomètre, nul besoin de revenir sur la propension pour ce type d’œuvre à adopter un rythme lent pour créer une ambiance pesante. Davantage psychologique et atmosphérique que véritablement frontal, les amateurs de jump scares en série et de montage épileptique risquent de se sentir floués par son côté cinéma d'auteur un peu bavard et lent. Mais le jeu en vaut la chandelle et au final on abouti à une proposition formelle remarquable qui n'est pas sans évoquer celle de Michael Haneke sur Le Ruban blanc.


Il serait injuste de ne pas intégrer à cette réussite le casting au petits oignons de The Witch. Des délires maternels paranoïaques de Katherine, interprétée par l'épatante Kate Dickie (Game of Thrones, Prometheus...), à l'inébranlable et aveugle foi paternelle pour un Dieu impitoyable, incarnée par l'excellent Ralph Ineson (Game of Thrones, Harry Potter...), on comprend facilement l'état psychique critique dans lequel se trouvent leurs enfants. Si la jeune Anya Taylor-Joy excelle dans le rôle ambiguë de Thomasin, on reste aussi scotché devant les délires mystiques du pauvre Caleb, interprété par un Harvey Scrimshaw bluffant.

Parfois qualifié de film terrifiant (si si, même Stephen King l'a dit !), il est vital de rétablir une certaine vérité pour éviter toute frustration post-visionnage. À part ressentir une certaine tension psychologique qui vient parfois se teinter d'horreur – la plupart du temps suggérée – comme lors de la scène d'ouverture mettant en scène une sorcière et un bébé, ne vous attendez pas à bondir de votre fauteuil, ni à vous évanouir de peur. De la même manière, les âmes les moins sensibles à ses éclats esthétiques et à son atmosphère crescendo qui s'achève dans une explosion dont nous ne dévoilerons pas la nature ici, risquent de finir par trouver tout un tas d'excuses pour s'ennuyer. The Witch est donc clairement une proposition originale et audacieuse, mais elle devra trouver son public, comme souvent avec ce type d’œuvres qui sortent des sentiers battus.
N.F.T.


EN BREF
titre original : The Witch
pays d'origine : États-Unis / Royaume-Uni / Canada / Brésil
budget : 3 500 000 $
année de production : 2015
date de sortie française : 15 juin 2016
durée : 88 minutes
adrénomètre : ♥
note globale : 4.5/5

† EXORCISME †
▲ Photographie
▲ Réalisation
▲ Casting

- DÉMYSTIFICATION -
▼ Peu effrayant
▼ Lent
▼ Un brin auteurisant

LE FLIP
Une attaque animale inattendue...

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