[Critique] ÇA (2017) d'Andrés Muschietti

Évaluation du dossier : 4.5/5 [♥]

Les disparitions d'enfants s'accumulent dans la petite ville de Derry, dans le Maine. Au même moment, une bande d'adolescents doit affronter un clown tueur, du nom de Grippe-sou, qui sévit depuis des siècles dans la ville. Pour survivre, ils vont devoir apprendre à apprivoiser leurs terreurs les plus enfouies.


En passe de battre quelques records assez inhabituels dans le domaine du cinéma d'horreur, cette nouvelle adaptation du roman fleuve de Stephen King, Ça, qui aura flirté avec le "development hell" depuis sa mise en chantier par Warner en 2009, débarque enfin dans les salles obscures françaises.
 

Précédée d'une excellente réputation, rare pour une adaptation d'un roman d'horreur, d'autant que le King a inspiré le meilleur (Shining, Dead Zone, Stand by Me, Misery, Simetierre...) comme le pire (The Mangler, Le Cobaye, La Créature du cimetière, Carrie, La Vengeance...), le risque de trop en attendre et de voir les désillusions pousser comme des champignons était bien présent.


Heureusement, le duo composé d'Andrés (ou Andy) Muschietti à la réalisation et Barbara, sa sœur, à la production, semble avoir appris de ses quelques erreurs et parvient cette fois à se sortir de l'esbroufe qui faisait sans doute le plus gros défaut de leur précédent film.  En dépit de ses qualités de mise en scène et de casting, faisant preuve d'un regard sur l'enfance assez spielbergien, le passionnant et lucratif Mama enregistrait un excès de pathos, notamment dans sa scène finale qui s'étirait jusqu'à l'infini. Il faut dire que cette fois, le duo n'avait qu'à puiser dans le gigantesque pavé de Stephen King pour y trouver ce qu'il fallait, sans avoir à en rajouter des tonnes. Visiblement inspiré par ce projet fraîchement déserté par Cary Fukanaga suite à un différend artistique avec New Line à trois semaines du tournage, Andrés Muschietti accepte de s'y coller. Il décide de laisser de côté l’approche essentiellement psychologique et toute personnelle de Fukanaga pour se concentrer sur la relation forte et salutaire que vont tisser entre eux les membres du club des ratés (ou des losers en VO).


Ça fait alors figure d'œuvre chorale aux portraits plus ou moins bien équilibrés, mais desquels il est difficile de détacher un morceau de casting. On notera quand même la prestation convaincante de Jaeden Lieberher (Midnight Special, The Book of Henry) dans le rôle de Bill et celle de Sophia Lillis (37, A Midsummer Night's Dream) dans celui de la combative Bev. Finn Wolfhard (Stranger Things) incarne avec conviction Richie, le comique de service et Jack Dylan Grazer (Tales of Halloween) excelle dans le rôle d'Eddie coincé entre son étouffante mère et les assauts de Grippe-sou et donc aux frontières de l'hystérie. Rien non plus à redire du côté des rebelles en carton : Nicholas Hamilton, campe un détestable Henry Bowers, tête à claque au mulet improbable tout comme Owen Teague (Cell Phone) convainc dans le rôle de Patrick Hockstetter, un de ses sbires décérébrés. Du côté des adultes, bien que cantonnés à des rôles anecdotiques, on peut citer Stephen Bogaert (American Psycho) le père glauque de Bev, Stuart Hughes (La Malédiction des rats, Le Justicier des ténèbres) dans le rôle du géniteur de l'affreux Bowers, ou encore Molly Atkinson en mère surprotectrice aux limites du malsain.

Bien sûr, pour rendre crédible l'univers de Ça, le casting est un point essentiel, mais sa direction en est un autre qu'Andy Muschietti devait impérativement maîtriser pour transcrire à l'écran toute l'intensité des situations auxquelles les gamins de Derry sont confrontés. De ce côté, c'est plutôt réussi et le réalisateur argentin semble parfait pour cet exercice de style ô combien périlleux. Ce qui fait de lui, au final, le metteur en scène idéal pour raconter ces vacances d'été sanglantes, avec cette touche de nostalgie qui résonne ici fortement avec Stranger Things, mais surtout avec d'autres œuvres du calibre des Goonies et surtout Stand by me. En effet, les répliques sans filtres, parfois improvisées sur le plateau font mouche et rappellent souvent cette adaptation de la nouvelle "Le Corps'" de Stephen King sortie chez nous en 1987. Dans Ça, les affinités sonnent juste, le sentiment de cohésion est là, alimenté par des dialogues savoureux.


L'autre condition sine qua non à la réussite de cette nouvelle adaptation après le Ça de Tommy Lee Wallace produit en 1990, était la forme sous laquelle serait présentée Grippe-sou le clown. Là aussi, le choix audacieux d'employer le jeune Bill Skarsgård (Divergente 3) paye. Son expression corporelle combinée à son apparence (costumes, maquillages...) et ses répliques cultes, en font une figure monstrueuse aussi fêlée d'imprévisible et qui peut rappeler parfois le personnage de Freddy Krueger. Muschietti en fan du genre et en parfait accord avec son époque, poursuit ce qu'il avait commencé avec Mama – auquel il fait un réjouissant clin d’œil – en s'imprégnant de la grammaire de l'épouvante moderne afin d'en tirer le meilleur. Sans toutefois atteindre les sommets de terreur d'autres œuvres plus "sournoises" dans la construction de l'angoisse, et à une époque ou les spectateurs sont plus que jamais habitués à ces mécanismes, Muschietti mise davantage sur l'intensité des scènes. Cela engendre des séquences puissantes qui arrachent fatalement quelques frissons. D'ailleurs le score hystérique de Benjamin Wallfish, dans les pas de Christopher Young et Joseph Bishara, apporte aussi pas mal d'eau au moulin, évoquant les partitions de Sinister ou d'Inisidious. De plus, l'ensemble est régulièrement contextualisé par des tubes de l'époque des Cure, en passant par The Cult ou encore Anthrax dont la reprise d'Antisocial de Trust accompagne une scène de baston d'anthologie.


Forcément, sur une durée de 2 h 15, quelques défauts ont le temps de se faire sentir, comme une impression bien présente de linéarité une fois la structure identifiée, mais cela reste du pinaillage tant l'ensemble s'avère immersif. On peut aussi tiquer sur certaines zones d'ombre, surtout pour ceux qui ne connaissent pas le roman, mais à ce niveau, il faudra attendre le deuxième volet pour juger dans la globalité. On imagine que Muschietti développera le concept autour des Lumières-mortes ainsi que sur l'aspect plus protéiforme, voire impossible à appréhender du monstre. Car malgré une transposition de la jeunesse des protagonistes des années 50 vers les années 80 et l'obligation de faire des choix radicaux sur un pavé de plus de 1000 pages, l'esprit du roman, bien que plus extrême dans son approche, est relativement respecté. Ça devrait s'installer comme l'une des meilleurs adaptations d'un roman de Stephen King en plus des quelques records qu'ils semble déjà enclin à battre au moment de sa sortie.

En attendant, les résultats, bien qu'inespérés – 10 fois la mise au moment d'écrire ces lignes – ont convaincu les producteurs de miser sur une suite. Actuellement en cours de développement, elle devrait cette fois s'intéresser au club des ratés, version adulte, soit à notre époque, tout en proposant des ponts vers un passé qui contient quelques clés pour affronter Grippe-sou. Le rendez-vous est pris pour 2019. Inutile de préciser que l'attente va être longue, mais le réalisateur a d'ores et déjà annoncé un director's cut, qui pourra toujours mettre en appétit, à défaut de faire patienter...
N.F.T.



EN BREF
titre original : It
distribution :  Bill Skarsgård,  Jaeden Lieberher, Finn Wolfhard, Sophia Lillis...
pays d'origine : États-Unis
budget : 35 000 000 $
année de production : 2017
date de sortie française : 20 septembre 2017
durée : 135 minutes
adrénomètre : ♥♥
note globale : 4.5/5

† EXORCISME †
▲ Angoissant
▲ L'incarnation du clown
▲ Le casting

- DÉMYSTIFICATION -
▼ La suite en 2019
▼ Impression de linéarité
▼ Moins extrême que le livre

LE FLIP
Une séance de projection de diapositives éprouvante...

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