[Critique] CRIMSON PEAK (2015) de Guillermo del Toro


Évaluation du dossier : 4.5/5 [♥♥]

Au début du siècle dernier, Edith Cushing, une jeune romancière en herbe, marginale, rêveuse et peu sensible au monde aristocratique qui gravite autour d'elle, vit avec son père Carter Cushing à Buffalo, dans l’État de New York. La jeune femme, hantée par la mort de sa mère, possède le don de communiquer avec les âmes des défunts. Une nuit, elle reçoit un étrange message de l’au-delà l'exhortant à éviter Crimson Peak...

Il n'est rien de plus réjouissant que voir le cinéaste à l'origine de L'Échine du Diable, film culte s'il en est, revenir à un cinéma d'auteur, plus intimiste après sa bombe visuelle et démesurée Pacific Rim, spectaculaire hommage au Kaiju Eiga.
Force est de constater que le réalisateur du brutal et poignant Le Labyrinthe de Pan met son savoir-faire au service d'une histoire d'amour mortifère sur fond de ghost story efficace sans manquer, au passage, de rendre un vibrant hommage à la littérature et au cinéma gothique.

Comme on pouvait s'y attendre, Guillermo del Toro livre une nouvelle œuvre personnelle – bien que coécrite avec Matthew Robins (Mimic, Don't be afraid of the dark) – construite autour de plusieurs genres qu'il revisite. Crimson Peak puise en effet son inspiration autant dans le cinéma fantastique, l'horreur et l'épouvante, que dans le film historique – révolution industrielle oblige – le tout saupoudré d'une petite touche de mélodrame et de romantisme parfaitement dosée.


À l'heure où beaucoup tombent dans l'écueil de la redite et des schémas éculés du genre pour caresser les producteurs et le public dans le sens du poil, Guillermo del Toro pense en premier lieu à laisser exprimer ses talents de visionnaire. Il plonge le public dans son univers propre, aussi hermétique ou mystérieux qu'il puisse sembler, ne dévoilant l’intrigue qu'au compte-gouttes, mais lui assurant le dépaysement et le cachet artistique qu'il est en droit d'attendre. S'il aime entraîner le spectateur vers des terrains mouvants, inconfortables, quitte à user d'une violence démonstrative, c'est au bénéfice de son propos et de ses nombreuses thématiques, quitte à faire parfois basculer son intrigue proche du thriller surnaturel dans une horreur brut de décoffrage. 

L'autre force de Crimson Peak réside dans ses qualités esthétiques, et c'est souvent là que l'on attend le travail du cinéaste, très doué lorsqu’il s'agit de créer un univers riche et cohérent et concevoir des monstres effrayants. Son inspiration, ici guidée par le contexte historique – l'époque victorienne – transpire des décors, des costumes et des accessoires. Difficile également de rester insensible à l'austérité et à la menace qui semble suinter de chaque recoin de Hallerdale Hall, à l'évocation funèbre de ses décors, aux longs couloirs sombres de ce manoir à l'agonie, condamné à disparaître, tel le Titanic. D'ailleurs, si cette bâtisse gothique n'est pas sans évoquer celle de La Dame en noir pour la référence la plus récente, ou encore celle des classiques, Les Innocents ou La Maison du diable, Crimson Peak résonne aussi curieusement avec une autre histoire de "fantômes" ; le Titanic de James Cameron. En effet, outre le comportement anti-aristocratique de l'héroïne et son histoire d'amour contrarié, on assiste impuissant au naufrage de ce manoir rongé par son passé et condamné à s'enfoncer dans une vaste mer d'argile rouge.


Vous l'aurez compris, en dépit de l'impression de lourdeur que certains pourraient ressentir – l'histoire se déroule sur près de deux heures – et de spectres un peu trop "numériques" - on reste quand même très loin artistiquement de l'affreux Hantise – on ne peut que s'enthousiasmer de retrouver ici tous les ingrédients qui font la force du cinéma de Guillermo del Toro. Celui-ci flirtant avec le cinéma d'Alfred Hitchcock ou de Henri-Georges Clouzot lorsqu'il est question de trahison et de faux-semblants, en plus, bien-sûr, des références aux cinéastes cultes du cinéma gothique tels Mario Bava, Terence Fisher, Riccardo Freda...

De son côté, le casting n'est pas en reste non plus. Jessica Chastain (Mama, Interstellar) est remarquable dans le rôle de la mystérieuse et froide Lucille Sharpe. La romance bousculée entre son frère, le ténébreux  Thomas, interprété par Tom Hiddleston (Avengers, Thor) et l'héroïne du film, la fragile Edith Cushing incarnée par Mia Wasikowska (Stoker), ne doit sa cohérence qu'à l'intensité du jeu de ses interprètes qui explose lors d'un puissant dialogue mélodramatique entre les deux tourtereaux dans la première partie du métrage.

Avec la classe qu'on lui connaît, et surtout une volonté de fer pour rester fidèle à sa vision des choses, quitte à perdre quelques spectateurs peu enclin au mélange des genres, Guillermo Del Toro poursuit avec Crimson Peak un parcours cinématographique personnel exceptionnel. Celui d'un cinéaste de caractère, visionnaire, inspiré et de plus en plus rare de nos jours, à l'exception d'autres maîtres indomptables tels que Peter Jackson ou James Cameron.
N.T.

EN BREF
titre original : Crimson Peak
pays d'origine : États-Unis
budget : 55 000 000 $
année de production : 2015
date de sortie française : 14 octobre 2015
durée : 119 minutes
adrénomètre : ♥♥
note globale : 4.5/5

  EXORCISME
▲ L'esthétique
▲ Ambitieux
▲ Généreux

- DÉMYSTIFICATION -
▼ Mélange des genres
▼ Intrigue progressive
▼ Les spectres numériques

LE FLIP 
La scène d'introduction

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