[Critique] LES TROIS VISAGES DE LA PEUR (1965) de Mario Bava

Évaluation du dossier : 4/5 []
Trois sketches se succèdent. Le Téléphone, où une jeune femme est persécutée par un inconnu qui l'épie et la menace au téléphone. Les Wurdalaks s'intéresse à un jeune aristocrate qui fait la connaissance d'une famille effrayée par une race de vampires qui hanterait la campagne Slave. Enfin, La Goutte d'Eau, met en scène une jeune infirmière tourmentée après avoir subtilisé la bague de sa patiente, fraichement décédée.


Souvent considéré comme un classique dans les plus hautes sphères de l'épouvante cinéphilique, il est en effet difficile, au regard de ses qualités, 50 ans après sa sortie, de contredire la réputation des Trois visages de la peur

Début des années 60, en pleine mode du film à sketches chez ses concitoyens tels que Ferreri, Fellini ou Risi, Bava présente à son tour une œuvre fragmentée, dont le gigantesque Boris Karloff, une icône internationale du cinéma d'horreur assure l'introduction, et du coup, promet un rayonnement mondial conséquent.  

La patte Mario Bava est déjà bien identifiable et augure, avec Le Corps et le Fouet, ce qui va être la marque de fabrique du réalisateur, basée sur des éclairages expressifs, souvent proches du théâtre, à partir des couleurs primaires. Et ce, bien des années avant la sortie de Creepshow, qui usera des mêmes procédés en matière de lumière.

Outre la joie de retrouver l'acteur culte de Frankenstein, il est surtout question de conditionner le public à la peur qui peut le saisir n'importe quand. Ainsi, trois segments indépendants sont présentés, dans un ordre aléatoire selon le bon vouloir de la distribution internationale, mêlant singularité des situations et unités de lieu réduites au strict minimum, lui conférant un aspect Twilight Zone. La comparaison s'arrêtent là puisque Bava possède ce qu'il faut de talent pour s'affranchir de ces contraintes en terme d'espace et offrir à chaque histoire les qualités nécessaires pour les rendre intéressantes et parfois même réellement terrifiantes, lors d'un dernier segment éprouvant. Tout en exercice de style, les quelques longueurs, notamment sur Les Wurdalaks ne gâchent en rien les choix d'un réalisateur visionnaire et dont le sens esthétique fascine encore, même 50 années plus tard...


Aujourd'hui, le constat est sans appel. Les Trois visages de la peur est une œuvre matricielle, qui inspirera des générations d'artistes tels le groupe Black Sabbath (le titre du film dans son exploitation américaine) ou Christian Vander (Magma) ou de cinéastes, puisqu'on y perçoit déjà l'exposition inquiétante d'une demeure forestière, qui présage le pire dans le Evil Dead de Sam Raimi, l'apparition de mouches dans le cadre d'une malédiction dans Jusqu'en enfer toujours de Sam Raimi, ou un gros plan de personnages au travers d'une fenêtre qui renvoie sans équivoque au chef d’œuvre gothique d'Alejandro Aménabar, Les Autres. Sans oublier l'influence du maestro sur le cinéma de Dario Argento.

Mais pour en revenir à l’œuvre qui nous intéresse, l'inspiration de Bava est davantage  littéraire puisque chaque histoire est tirée des nouvelles respectives de Ivan Chekhov,  Tolstoï et F.G. Snyder. Le Téléphone, sans doute le moins fantastique des trois, se rapproche davantage du giallo, rappelant un autre film du réalisateur, La Femme qui en savait trop, avec un soupçon de romance lesbienne manifeste, et assez gonflé pour l'époque. D'ailleurs certaines scènes ne feront pas le poids face à la censure puritaine américaine et devront être remontées et redoublées, pour l'exploitation outre atlantique. Michèle Mercier en brune y interprète une jeune victime, menacée au téléphone par un inconnu. Le suspense ici tient surtout sur son action en temps réel et sur la menace que représente cet inconnu qui peut surgir à tout moment.

Il est aussi question de menace dans le sketch "Les Wurdalaks" qui pose son action au cœur d'une campagne slave. Baigné d'un parfum gothique qui fleure bon l'age d'or du fantastique, l'ambiance n'est pas sans évoquer Opération Peur, que Bava réalisera trois ans plus tard, voire les classiques de la Hammer ou le Frankenstein de James Whale avec Boris Karloff. La boucle étant bouclée puisque ce dernier figure au casting. Empreint d'un certain classicisme, comme souvent chez Bava, le conteur témoigne d'une inspiration remarquable sur le plan formel et ne lésine ni sur les lumières primaires et jeux d'ombres, ni sur les mouvements de caméras ronflants, accompagnés d'une bande son expressive qui évite au segment de tomber dans l'ennui.


La dernière histoire, intitulée La Goutte d'Eau, est sans doute la plus remarquable. Non seulement parce que le segment ne souffre d'aucun temps mort, mais également parce qu'il est, et de loin, le plus flippant. D'ailleurs, si Terreurvision ne devait retenir qu'une oeuvre du grand Bava, nul doute que cette histoire courte figurait dans le peloton de tête. Dès les premières minutes, l'ambiance dérangeante est assurée par la lecture d'un disque ancien, craquant et au son étouffé, combiné à des effets de lumières et à des décors baroques qui renvoient inévitablement au travail d'Argento et notamment sur Suspiria et Inferno. Et puis tout s'emballe lorsqu'une infirmière doit assurer la toilette mortuaire d'une vieille femme au visage effrayant que le réalisateur prend un malin plaisir à exploiter généreusement afin de convoquer la peur...

Au final, Les Trois visages de la peur selon Bava, s'intéresse tout autant aux victimes confrontées au sentiment de terreur, qu'aux monstres multifacettes qui la véhiculent, aux apparences parfois trompeuses. Un fond de commerce récurrent chez le réalisateur qui a, de plus, toujours manifesté un goût prononcé à railler la nature humaine et son potentiel destructeur.

Et si, inéluctablement, le temps a passé, la magie du numérique a rendu toute sa vivacité à une œuvre qui figure toujours en bonne place dans la liste des films aux images les plus traumatisantes du cinéma d'épouvante.
N.F.T.

EN BREF
titre original : I Tre Volti Della Paura
pays d'origine : Italie / France / États-Unis
année de production : 1963
date de sortie française : 17 novembre 1965
durée : 88 minutes
adrénomètre : ♥♥ (pour le sketch "La Goutte d'eau")
note globale : 4/5 (pour le sketch "La Goutte d'eau")

† EXORCISME †
▲ Traumatisant "La Goutte d'eau"
▲  Passionnant sur la forme
▲ Œuvre matricielle

- DÉMYSTIFICATION -
▼ Quelques longueurs "Les Wurdalaks"
▼ Petit coup de vieux
▼ Interprétation parfois théâtrale

LE FLIP
Le visage effrayant d'une vieille femme morte dans son lit.

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