ANNIHILATION (2018 - SVoD) d'Alex Garland [Critique]

Évaluation du dossier : 3.5/5 []

Une équipe de scientifiques part en mission explorer la "Zone X", étendue côtière marécageuse, gardée secrète par les forces militaires et sous l’emprise de phénomènes inexpliqués.


Les contes et mythes en milieux hostiles foisonnent au cinéma, mais Annihilation se démarque avec habileté de ses prédécesseurs.

Annihilation est au départ un court roman éponyme de science-fiction du romancier américain Jeff VanderMeer, publié en 2014 et traduit en français en 2016 (Au diable vauvert). Alex Garland en réalise ici une adaptation cinématographique distribuée en salles par Paramount, uniquement aux Etats-Unis, Canada et Chine, puis diffusée mondialement à partir de mars 2018 sur internet par la plateforme Netflix. Révélé comme scénariste de Danny Boyle pour La plage, 28 jours plus tard et Sunshine, Alex Garland persiste et signe comme réalisateur, après Ex machina en 2014, dans le registre SF avec ce deuxième long-métrage.

L’argument du film tient en peu de lignes : une portion de littoral est le théâtre de faits pour le moins étranges et menaçants qui gagnent du terrain de façon inéluctable. Sous contrôle de l’armée, toutes les expéditions jusque-là missionnées pour comprendre la nature de ces manifestations et leur progression ont échoué, aucun (ou presque) des participants n’étant revenu de la Zone X. Une énième équipe de quatre membres à laquelle se greffe en dernière minute une biologiste, Lena, incarnée par Natalie Portman, part à son tour tenter sa chance à ses risques et périls.

Photo credit: Peter Mountain

Bien sûr, les histoires, contes et mythes en milieu hostile et mystérieux foisonnent et, en balayant large, on songe d'emblée, en vrac et parmi des dizaines d’autres, à Hansel et Gretel, Stalker, Fog, The Mist ou Planète interdite. Mais Annihilation se démarque de ses prédécesseurs de diverses manières. D’abord, signe de l’air du temps ou pas, les protagonistes de l’expédition sont toutes des femmes, ce qui au passage, référence supplémentaire, rappelle The Descent de Neil Marshall, autre  "survival". Les seuls trois véritables rôles masculins en sont réduits à des personnages accessoires et fantômes, au quasi sens propre. Ensuite, la structure du film en flash-back entrelacés fait écho à la complexité croissante de la Zone X au fur et à mesure de sa découverte, avec son avancée inexorable en rouleau compresseur, avec l’abolition de la temporalité qu’elle génère en son sein, et avec les doutes et la confusion qui s’insinuent dans les esprits. Cette construction/déconstruction/reconstruction débouche sur la scène phare (littéralement !) qui constitue l’aboutissement de ce que l’on peut considérer comme une forme de quête de Lena, dans laquelle abstraction, fantasmagorie et chorégraphie s’entremêlent, dans un corps à corps de chair et de synthèse. La séquence s’étire, presqu’en dehors du récit. Le film se dilate alors, dans un lieu très « lovecraftien », à la fois matrice, sanctuaire et œil du cyclone, à la jonction du ciel et des profondeurs, où Léna se retrouve "mise en abyme" face à l’horreur, face à la folie, face à elle-même.

Photo credit: Peter Mountain

Si Annihilation résonne avec son époque c’est qu’il emprunte à la fois à des thèmes actuels et aux angoisses des premières heures de la SF. On est en même temps chez Cronenberg avec la transformation du vivant (cancer ou mutation) et la question de son acceptation, chez Lovecraft avec les peurs primitives abyssales, les hallucinations et la maladie mentale, chez Orwell avec la manipulation, ou dans des considérations plus universelles comme la question des origines, de la finalité, la quête de soi et de l’autre, la perte d’identité, ou plus concrètes comme la contamination environnementale, le clonage. Une telle densité dans un format si court, malgré ses 115 minutes, confine par moments à un sentiment d’écrasement, même si le tout se maintient, si bien que l’on imagine aisément une adaptation en série.

Esthétiquement, Annihilation s’avère remarquable. Le côté chatoyant du phénomène responsable de la Zone X, le miroitement (le "shimmer"), tout en ondulations et volutes irisées, reflète bien son aspect fascinant et envoûtant. Le monde clos qu’il renferme évolue dans un climat de conte de fée, trop beau pour être vrai, merveilleusement restitué grâce aux effets visuels de Andrew Whitehurst déjà présent sur Ex machina. La musique de Geoff Barrow du groupe Portishead et Ben Salisbury, épurée, mélancolique et à des années-lumière des lieux communs du genre, baigne l’ensemble et, selon les moments, lui confère une atmosphère étrange de langueur, de plénitude, de renoncement ou de regrets.

Photo credit: Peter Mountain

Le casting affiche pour les rôles principaux deux stars hollywoodiennes au parcours comparable, Natalie Portman (Heat, Black Swan) et Jennifer Jason Leigh (Hitcher, eXistenZ). La performance de chacune est remarquable et le tandem fonctionne bien. Lena /Natalie Portman et Ventress/Jenniffer Jason Leigh, à la ressemblance de caractère  troublante à une génération d’écart, entrainées dans une rivalité tacite, laissent planer en toile  de fond la question du double (on pense à Cronenberg, encore et toujours).

Enfin, le film n’est pas exempt de reproches. La volonté d’explication dès les premières minutes et la fin hollywoodienne sont dispensables. On déplore des personnages trop effleurés et un manque de temps évident pour une véritable immersion dans la Zone X, une bonne compréhension et un meilleur développement de tous les enjeux. Néanmoins cette adaptation pour le cinéma du roman de Jeff VanderMeer apparait comme une très bonne surprise. On en retient une ambiance singulière, un objet visuel situé à un carrefour des genres (quitte à déstabiliser), une impression de fausse lenteur ponctuée de scènes gores rares mais efficaces, une tension minimale mais un charme indéniable. De là, on présume de la regrettable frilosité des distributeurs à l’aune d’un résultat jugé trop intellectuel ou trop mainstream selon le point de vue. Même si la radicalité du propos est moindre à l’image qu’à l’écrit et si la version Garland diffère sur bien des points du roman, le réalisateur a su conserver l’état d’esprit du texte tout en se l’appropriant, rappelant par là son grand talent de scénariste.
M.V.



EN BREF
titre original : Annihilation
distribution : Natalie Portman, Jennifer Jason Leigh, Tessa Thompson, Benedict Wong, David Gyasi...
pays d'origine : Royaume-Uni / États-Unis
budget : 40 000 000 $
année de production : 2018
date de sortie française : 12 mars 2018 (SvOD) - 13 mars 2019 (BD/DVD - Paramount) Pictures
durée : 155 minutes
adrénomètre : ♠
note globale : 3.5/5

† EXORCISME †
▲ Casting audacieux
▲ Climat envoûtant
▲ bande-son

 - DÉMYSTIFICATION -
▼Personnages effleurés
▼ Développement insuffisant
▼ Tension basse

LE FLIP
Un gros nounours qui parle...

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