[Critique] THE VISIT (2015) de M. Night Shyamalan

Évaluation du dossier : 4/5 [♥♥]

Rebecca et son frère Tyler sont envoyés passer une semaine en Pennsylvanie, dans la ferme de leurs grands-parents qu'ils n'ont jamais rencontrés. Mais jour après jour, les enfants découvrent que leur hôtes adoptent un comportement de plus en plus inquiétant et profondément dérangeant. Bientôt, ils comprennent que leur propre vie pourrait être en danger...


Le moins que l'on puisse dire est que la carrière de M. Night Shyamalan n'a rien d'une promenade de santé. Mis à part les quelques réussites qui font consensus (Sixième Sens, Incassables et Signes), le reste était soit incompris (Le village, After Earth) soit carrément raillé (La jeune fille de l'eau, Phénomènes, Le Dernier maître de l'air).
Revenu dans le cœur du public grâce à sa série Wayward Pines, on peut dire que le travail du cinéaste est loin de faire l’unanimité.

Alors roi de l’esbroufe scénaristique ou cinéaste simplement mué par le goût du risque ? C'est plutôt la deuxième proposition qui vient à l'esprit quand il décide, à l'instar de Barry Levinson avec The Bay, de s’approprier les codes du documenteur et revoir au passage la fameuse recette "Blumhouse", à sa propre sauce.


Pour compenser la réalisation traditionnelle et pérenniser son talent dans ce domaine, M. Night Shyamalan fait de son personnage principal une jeune vidéaste amateur, permettant une certaine stabilité du cadre, et rendant plus naturels les superbes plans volés ici ou là durant les séances de captation qui feront la colonne vertébrale de The Visit. Loin de céder aux facilités du genre, le réalisateur met aussi ses qualités d'auteur au service de son métrage et exploite le langage cinématographique sous forme d'une mise en abîme plutôt bien vue.

L'autre bonne idée consiste à user d'un sens de l'humour pertinent puisqu'il tourne essentiellement sur les rapports fraternels, à base de blagues, de vannes et autres chamailleries, et vient constamment contrebalancer les scènes d'angoisse. Un second degré qui aurait pu s’avérer casse-gueule s'il avait été mal calibré, mais ici il est souvent libérateur en plus d'offrir un recul intéressant, sans tomber dans le méta lourdingue. Ce procédé tisse de plus un lien fort avec le spectateur et simplifie le processus d'identification.


Outre ses dialogues affûtés, The Visit est rempli d'idées remarquables pour mettre (très) mal à l'aise le spectateur, à commencer par les problèmes de "santé" des deux grands-parents (démence sénile, syndrome crépusculaire, pour n'en dévoiler qu'une partie). De même que les parties de cache-cache ou de dés et la plupart des moments de détente et de partage entre ces deux générations que tout réuni et oppose en même temps, s'avèrent souvent une source d'angoisse de plus en plus marquée à mesure que le film avance. Évidemment le spectateur ne manque pas de s'interroger sur l'intention du réalisateur en faisant de la sénilité une source de terreur, voire de dégoût pour les enfants. Shyamalan y concentre pourtant clairement sa propre aversion face au processus de vieillissement, à la prise de conscience de la mort et au naufrage de la vieillesse auquel personne n'échappe.

Conte amer se référant autant à Hansel et Gretel (scène du four) qu'à La Nuit du chasseur (enfants traqués par des adultes, incarnation de leurs traumas) c'est au final une œuvre perturbante que livre M. Night Shyamalan, tout en se montrant poignante autour de la maladie de l'âme, du pardon et autres blocages psychologiques. S'il souffre d'un certain ralentissement dans son dernier acte, les thématiques sont suffisamment développées pour accepter les passages que certains pourront qualifier de "bavards".


Au-delà de son savoir-faire en matière de direction d'acteurs – les fulgurances du casting sont source de frisson et d'émotion – c'est aussi dans la construction de ce dernier que The Visit tire son épingle du jeu. À commencer par Olivia Dejonge, très à l'aise dans ce rôle de mordue de vidéo, déterminée à percer les secrets de famille aux côtés de son jeune frère version "Mini-Moi" d'un croisement improbable entre Eminem et Tyler the Creator, interprété par l'amusant Ed Oxenbould. Chez les adultes, l'essentiel du film tient sur l'interprétation du couple de vieillards séniles, soit la flippante Deanna Dunagan, issue du monde de la série télévisée et le non moins dérangeant Peter McRobbie (Big, Spider-Man 2).

Mise en abyme du processus créatif d'un film sur fond de conflit générationnel, twist efficace, thriller hyper tendu et flippant, pas de doute, M. Night Shyamalan a rarement été aussi bon et inspiré qu'avec un petit budget, ici sous l'égide du studio Blumhouse (Sinister, Insidious, The Lords of Salem, The Green Inferno) auquel il emprunte certains gimmick pour mieux les transcender. La bonne nouvelle étant qu'à l'aune de cette expérience riche pour le réalisateur, ce dernier a indiqué vouloir la renouveler pour son prochain projet. On n'en attendait pas moins...
N.T.


EN BREF
titre original : The Visit
pays d'origine : États-Unis
budget : 5 000 000 $
année de production : 2015
date de sortie française : 7 octobre 2015
durée : 94 minutes
adrénomètre : ♥♥ 
note globale : 4/5

† EXORCISME
▲ L'humour
▲ Le grain de folie
▲ L'exercice de style

- DÉMYSTIFICATION -
▼ Les codes balisés du documenteur
▼ Le regard ambigu sur la sénilité
▼ Le manque de climax final

LE FLIP
Mamie bizarre...

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