Pour mettre fin à une vague de violences meurtrières qui gangrène une petite ville des États-Unis depuis des décennies, une bande d’ados va devoir percer la légende d’une sorcière du 17e siècle.
Slashers, geeks, fans de Stephen King, lycéens, hémoglobine, forêt, mystère, humour noir, sorcellerie, B.O. nineties à gogo et puissance narrative, Fear Street déballe tous les ingrédients pour tous les ados de 1994 à nos jours. Smells Like Teen Spirit !
"Ça a commencé comme une farce et s’est fini en meurtre". La phrase en guise d’entrée en matière du film, à la fois mise en abyme et citation d’un épisode de la série romanesque de l’écrivain R.L. Stine dont Fear Street est l’adaptation éponyme, annonce la couleur (plutôt rouge). Hommage à la littérature de genre, à la culture populaire, Fear Street décline sous forme d’un triptyque de 3 x 110 minutes le plus grand nombre de références maîtresses de tous les temps, Stephen King en tête de gondole. L’expression culture populaire prend ici tout son sens puisque l’intrigue s’inspire et se nourrit d’une légende et d’une ancestrale querelle de villages (que ceux qui n’ont pas, de près ou de loin, vécu une rivalité entre communes, bourgs ou quartiers, lèvent le doigt !).
1994, dans l’état de l’Ohio, Midwest des États-Unis. Shadyside
et Sunnyvale sont deux bourgades voisines. Sunnyvale prospère tandis que
Shadyside sombre (comme "Shady") dans la délinquance et la pauvreté.
Alors qu’une nouvelle tuerie vient d’éclater au centre commercial, des ados de
Shadyside, Deena (Kiana Madeira), Samantha (Olivia Scott Welch), Josh (Benjamin
Flores Jr.), Kate (Julia Rehwald) et Simon (Fred Hechinger) mènent leur propre
enquête. Tout porte à croire que la déchéance et la violence endémiques de la
petite cité soient le fruit d’une malédiction vieille de 300 ans, jetée par la
sorcière Sarah Fier.
Dark, Stranger Things, Fear Street… hasard, étude de marché ciblée pour éternels ados ou pure nostalgie (de qui, de quoi ?), on commence à se demander si, pour décrocher un succès de série fantastique, il faut à tout prix passer par la case années 1980/90. Repères et icônes font-ils défaut à la période actuelle ? Le présent ne prête-t-il plus à rêver, ou pire, effraie-t-il déjà à ce point lui-même ? Quoi qu’il en soit, si Fear Street apporte des réponses et remplit à sa manière le cahier des charges, il le doit avant tout à sa qualité d’écriture, et pas à l’originalité de son synopsis, vu et archirevu, de monstres méchants versus ados incompris.
Tout simplement, Leigh Janiak, réalisatrice et coscénariste (et à l'origine du très recommandable Honeymoon en 2014), aime ses personnages et sait transmettre son émotion à l’image. Elle saisit le détail ou l’expression qui leur donne corps. Elle identifie si bien chaque individu, dès la scène inaugurale, que le script s’avère d’emblée assez imprévisible. La singularité du scénario réside dans le contraste entre l’audace gore des séquences de meurtres, et la personnalité attachante des victimes, quand bien même ces dernières trimballent des casseroles de clichés (geek, rebelle…). Cette alternance de construction et destruction des stéréotypes est un ressort de l’écriture. Elle participe même d’une forme d’humour, lui-même déjà présent dans les mécanismes d’usage d’autodérision du genre. Leigh Janiak pousse ainsi l’ironie jusqu’à mettre en scène des slashers immortels, entraînant ses jeunes protagonistes dans une espèce de jeu vidéo grandeur nature, à l’issue quasi inévitable. Quitte à parodier les plus mauvaises copies du style, autant jouer la carte à fond. Pour autant, l’auteure s’astreint à maintenir une tension constante.
La structure, déployée en trois étapes temporelles disjointes (1994/1978/1666),
installe une symétrie en trompe-l’œil et brouille habilement les pistes. Si le
deuxième volet accuse quelques longueurs, le dernier rattrape l’ensemble et lui
confère une dimension fantasmagorique, faussement naïve et assumée.
Fear Street joue et déjoue à fond les caricatures, mais reste un conte moderne. En tant que tel, il délivre un message. De ce point de vue, il ne fait pas dans la dentelle. Il s’attaque aux constructions sociales, de classe et individuelles, à la question de la (non) réalité intrinsèque du mal. On regrette juste un certain manque de finesse et de subversion dans le propos. Au moins Leigh Janiak a-t-elle les idées claires.
L’image du chef opérateur Caleb Heymann (The Mortuary Collection) fait de Fear Street
une réussite esthétique. Chacune des trois parties bénéficie d’un travail
spécifique qui transcende le contexte des différentes époques. Bref, difficile de ne pas succomber au souffle narratif de
cette trilogie et au culte de la sorcière Sarah Fier. Sinon, profitez-en pour vous
(ré)adonner à celui des Pixies qui inondent la bande-son. "Must be a devil
between us, or whores…"
M.V.
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