[Critique] THE SERPENT AND THE RAINBOW (1987/1988) de Wes Craven

Évaluation du dossier : 4/5 [♥]

L'anthropologue Dennis Alan est envoyé en mission à Haïti pour enquêter sur un homme aperçu vivant alors qu'il a été diagnostiqué mort puis enterré il y a plusieurs années. Sur l'île, Alan apprend l'existence d'une mystérieuse poudre vaudou capable de plonger un homme dans une mort artificielle. Son enquête le met bientôt aux prises avec les Tontons Macoutes, des miliciens paramilitaires qui utilisent cette drogue pour éliminer les opposants politiques au régime. Menacé de mort, Alan tente de récupérer la recette du poison avant de repartir pour Boston. À ses risques et périls...

Pas encore un an qu'il nous a quittés que le fantôme de Wes Craven hante déjà les salles de cinéma avec la reprise de The Serpent and the rainbow. L'ironie veut que le sujet central de ce métrage déterré de la filmographie du réalisateur soit la "résurrection" de personnes enterrées en état de mort apparente. Un film de "zombie" majeur dans la carrière du cinéaste qui prouvait ici qu'il pouvait s'extraire d'une horreur purement fantastique en la mêlant à un contexte politique réaliste sur fond de magie vaudou.

En érudit qu'il a toujours été, l'ex-enseignant en sciences humaines est aussi fasciné par le thème du rêve éveillé, omniprésent dans son cinéma (Les Griffes de la Nuit, Shocker, My soul to take...). The Serpent and the Rainbow, sorti chez nous en 1988 sous le titre français L'Emprise des ténèbres, témoigne de l'intérêt que nourrit Craven pour le sort d'Haïti alors tout juste libéré du joug des Duvallier et plus particulièrement du fiston, Jean-Claude, qui durant son règne de terreur s'enrichit grâce aux trafics de drogue, d'organes et d'êtres humains. Ce tournage s’avérera ainsi particulièrement mouvementé, la fiction rejoignant même la réalité, puisque le contexte politique fragilisé et le climat social explosif contraindra l'équipe de tournage, victime de menaces de mort, à finalement s'installer de l'autre côté de l'île, en République Dominicaine. 


Wes Craven puise son inspiration dans le roman éponyme de l’anthropologue Harvard Wade Davis sorti en 1985. Ce dernier y propose une étude des pratiques vaudou en Haïti, et s'intéresse tout particulièrement au processus de "zombification". En effet, une poudre "magique", à base de tetrodotoxine circulerait, plongeant temporairement en état de mort apparente celui qui y est exposé. Il est aussi question pour Wes Craven de dresser un état des lieux réaliste de la situation politique dramatique dans l'un des pays les plus pauvres du monde, pillé par ses dirigeants et paralysé par ses profondes croyances vaudou.

Niveau casting, The Serpent and the rainbow est essentiellement porté par l'interprétation habitée de Bill Pullman (Lost Highway, The Grudge). Il campe un scientifique bien déterminé à percer les secrets de la fameuse poudre, dans un but médical. Son combat à armes inégales contre les Tontons Macoutes et la magie noire résonne avec celui d'un peuple Haïtien oppressé, en prise avec un régime totalitaire.


Le volet politique est important, puisque l’armée au pouvoir sous l'impulsion d'un chef vaudou laisse présager le pire pour notre pauvre héros un poil entêté. Une opiniâtreté qui, malgré les tentatives d’intimidation du sorcier, le pousse à poursuivre sa quête quitte à en payer le prix fort. Ainsi, cauchemars et hallucinations se succèdent et la réalité devient de plus en plus difficile à discerner.

Le créateur de l'affreux Freddy Krueger installe le malaise en inscrivant la plupart des effets de peur sous forme de réminiscences ou de visions mêlées à des scènes oniriques qui créent un certain trouble et un sentiment de danger permanent. La bonne idée est de justifier ces visions de manière "réaliste" puisqu'elles font suite aux diverses expériences mystiques vécues jusque-là par l’anthropologue, ayant ainsi, peut-être, ouvert une sorte de porte dans son esprit. Cette impression de réalisme et d'authenticité constante est aussi sans doute renforcée par la présence de vrais pratiquants du rituel vaudou que Wade Davis a rencontrés lors de ses voyages.


Œuvre complète où s'entremêlent horreur, épouvante, aventure et contexte politique difficile, The Serpent and the rainbow propose un savant mélange des genres. Même 30 ans après, l’œuvre fascine encore et les mésaventures de Dennis Alan, inspirées de celles de Wade Davis créent un certain malaise. Son dernier acte, bien qu'il tire vers le fantastique pur, s'éloignant un peu de la voie "réaliste" jusqu'ici empruntée, offre toutefois quelques effets spéciaux sympathiques, que l'on qualifierait aujourd’hui d'audacieux. Il vient clore cette fable dont la moralité se rapproche du Sous-sol de la peur qui voyait aussi les opprimés et le peuple combattre un pouvoir corrompu. Encore tout auréolé du succès des Griffes de la Nuit, et quittant sa zone de confort (et l'Amérique) en abordant son métrage ouvertement sous l'angle politique et quasi documentaire, Craven signait là l'un de ses films les plus ouvertement engagés, et sans doute l'une des pièces maitresses de sa filmographie. Elle est ici proposée dans une copie restaurée à découvrir de toute urgence.
N.F.T.

 

EN BREF
titre original : The Serpent and the rainbow
titre alternatif : L'Emprise des ténèbres
pays d'origine : États-Unis
budget : 7 000 000 $
année de production : 1987
date de sortie française : 11 mai 1988 - reprise le 29 juin 2016
durée : 98 minutes
adrénomètre : ♥
 note globale : 4/5

 † EXORCISME
▲ Dense
▲ L'un des meilleurs Wes Craven
▲ Bande son

- DÉMYSTIFICATION -
▼ Aspect vieillot de certains SFX
▼ Parfois sous-estimé
▼ La fin qui dénote avec l'aspect "réaliste" du film

LE FLIP
Des mains vous agrippent depuis le sol pour vous entrainer au plus profond de la terre.

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