LE DOMAINE (2019/2020 - VOD) de Roberto De Feo [Critique]

Évaluation du dossier : 4/5 []

Un ado paraplégique vit coupé du monde extérieur sous le joug de sa mère dominatrice. Cloîtré dans le manoir familial, il voit sa vie chamboulée le jour où une nouvelle et jeune domestique rejoint l’équipe des employés de maison.

Quoi de plus effrayant que de quitter maman et le nid familial ? Sous des apparences un peu surfaites, Le Domaine nous prend par surprise, déjoue les clichés et décolle quelques synapses. Une des révélations de la sélection de Sitges 2019.

Eraserhead, Psychose, Carrie, etc., la liste des films dépeignant une mère tyrannique a de quoi en imposer à qui tenterait de se frotter au sujet. Cela n’a, semble-t-il, pas posé de problème au réalisateur italien Roberto De Feo qui, pour l’écriture de son 1er long-métrage Il nido, embarque deux acolytes, Lucio Besana et Margherita Ferri dans l'enfer de la famille dysfonctionnelle.

Dans Le Domaine, traduction française du titre, Elena, mère autoritaire, élève seule son fils Samuel, adolescent paraplégique. Hissant la propriété familiale au rang de sanctuaire, elle fait tout pour préserver le fils prodigue des influences extérieures et impose ses dogmes aux gens de maison. La résidence est bouclée. Pour les domestiques à demeure et quelques proches, la règle est simple : interdiction stricte d’évoquer la vie au dehors sous peine de bénéficier des traitements spéciaux du médecin de famille, tendance nazi-nostalgie. Mais l’arrivée imprévue d’une jeune fille, Denise, bouleverse la vie de Samuel et met en péril la relation mère-fils.


De prime abord, Le Domaine se la joue Folcoche chez The Haunting of Hill House et vient grossir les piles de récits de mères possessives et autres familles dysfonctionnelles. Mais Roberto De Feo pousse son histoire un peu plus loin que le simple portrait d’une méchante mama despote gothique, des griffes de laquelle le gentil bambino doit s’échapper. D’emblée, en arrière-plan, s’installe un climat étrange et malaisant qui traverse tout le film. Un mystère sourd en continu, insidieux comme un secret de famille. Le scénario a beau user de clichés comme la fastidieuse leçon de piano classique, l’éducation austère ou la mise à mal du divertissement, de l’imagination et de la réflexion, il distille en fond une impression de doute subtile qui aiguise l’attention en permanence. À ce titre, la scène de l’anniversaire est une réussite. Elle ancre le film dans son atmosphère singulière de pesanteur trouble et ambigüe. Le récit sillonne cette ligne de crête, en alternant situations d’injustice et de frustration face aux abus d’Elena, et dissonances brutales, énigmatiques ou équivoques. L’ouverture contribue bien sûr en grande partie à attiser curiosité et questionnements, et augure à merveille une diversité de pistes. Dès lors, Roberto De Feo brouille les cartes en toute discrétion, lâche quelques indices à qui les saisit, puis se fait oublier l’air de rien, jusqu’à rebrouiller les cartes et ainsi de suite. Pour autant la narration reste fluide. De Feo filme très bien. Il a toujours un coup d’avance sur nous et sait exactement où il va. Peut-être le sait-il un peu trop d’ailleurs. Un excès de confiance en soi, en la matière, menace de lasser ou d’avoir raison de la bonne volonté de certains esprits chagrins. Mais Roberto a le goût du risque, assurément. Rien d’étonnant de la part d’un auteur qui, au passage, ose le film d’horreur sans jump scares ni effets spéciaux (ou presque).


Le domaine au sens propre, ici proche d’un mini château, constitue en lui-même un personnage à part entière. Il est au cœur du film, qui s’ouvre et se ferme sur lui. Sous la photographie magnifique d’Emanuele Pasquet (A Classic Horror Story) et les décors de Francesca Bocca (Mother of Tears - La troisième mère), il en émane une présence intemporelle qui contribue à la force du scénario. Entre XIXe et XXIe siècle, il semble impossible de déterminer l’époque de l’action sur un seul des plans intérieurs. Teho Teardo signe une bande son discrète mais efficace et accomplit l’exploit de nous graver directement dans le cerveau une version du morceau le plus éculé des Pixies. De son côté, le casting est un sans-faute sur toute la ligne. Francesca Cavallin (A Classic Horror Story), alias Elena, balance entre sadisme, amour, jalousie, nostalgie et douleur. Maurizio Lombardi (Pinocchio) en médecin tortionnaire sort tout droit d’Auschwitz. Justin Alexander Korovkin (The Book of Vision) incarne un Samuel éphèbe, limite androgyne, hors des genres et hors du temps.


Un brin complaisant, le long-métrage joue sur les codes et peut donner l’impression de pécher par maniérisme. Mais il sollicite beaucoup, de fait, le point de vue du spectateur. C’est aussi la question du regard et des préjugés que pose Roberto De Feo. Pour cela, il ne faut pas s’interdire de voir (et surtout de revoir) Le Domaine.
M.V.


EN BREF 
titre original : Il Nido
titre alternatif : The Nest
réalisation : Roberto De Feo
scénario :  Roberto De Fei, Lucio Besana, Margherita Ferri
distribution : Francesca Cavallin, Ginevra Francesconi, Justin Korovkin, Maurizio Lombardi, Elisabetta De Vito... 
photographie : Emanuele Pasquet
musique : Teho Teardo
pays d'origine : Italie
budget : 1 300 000 €
année de production : 2019
date de sortie française : 1 septembre 2020 (VOD)
durée : 107 minutes
adrénomètre : ♠ 
note globale : 4/5


† EXORCISME †
▲ Réalisation
▲ Casting
▲ Photo
- DÉMYSTIFICATION -
▼ Tension modérée
▼ Peu flippant
▼ Longueurs

LE FLIP 
Une visite nocturne sur le seuil de votre chambre...

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