Évaluation du dossier : 4/5 [♥]
Le jeune Justin disparaît à vélo alors qu’il emprunte comme d’habitude le chemin forestier qui borde la ville. L’officier Harper se voit chargé de l’enquête, en même temps que son foyer se déchire et que des objets changent de place étrangement dans la maison. Parallèlement, resurgit l’ombre d’un serial killer. Peu à peu un malaise indéfinissable s’installe au sein de la famille.
Le second long-métrage du Britannique Adam Randall brouille les cartes, bluffe et retombe sur ses pattes moyennant quelques tours de passe-passe et quelques nœuds de caméra. Du bel ouvrage qui, à sa façon, repose au passage la sempiternelle question du genre.
Adam Randall n’a pas laissé un souvenir impérissable avec son métrage de science-fiction iBoy en 2017 (dispo sur Netflix). Pourtant, en lisant entre les lignes, on y décelait déjà quelques fulgurances. Ce n’est donc pas un hasard si on retrouve dans I See You pas mal de traits communs à cette première tentative : des qualités de réalisation, des ados, le thème de l’intrusion, les notions de justice et de justicier, une volonté de revisiter le principe de genre.
L’originalité du film s’articule entre deux éléments étroitement liés du point de vue scénaristique, l’un au niveau de la forme, l’autre du fond. Ainsi un jeu sur les codes cinématographiques s’installe très vite, juxtaposé au ressort d’une construction en deux parties. Dans un premier temps le film flotte entre deux (ou trois) eaux, bercé par une totale impression de perte de repères. On se laisse déstabiliser avec les membres de la famille Harper prise, au cœur d’une petite ville nord-américaine, entre les feux d’une crise conjugale, de pseudo et vagues phénomènes paranormaux, et d’un climat d’insécurité lié aux disparitions de jeunes ados. Le scénario sillonne ces différentes pistes, passe de l’une à l’autre avec finesse et crée un sentiment de flottement singulier qui perd le spectateur et en profite en passant pour glisser quelques invraisemblances qui passent comme une lettre à la poste - mais peu importe. On sent en permanence planer une menace dont la nature, embrumée par des conventions de genre bousculées, reste indéterminée. La bascule radicale qui s’opère ensuite sort tout le monde - audience et personnages - de sa rêverie. Là encore, non contente de rompre le récit, l’écriture exécute un "twist au carré" en optant pour un registre et un format assez inattendus et propulse cette fois l’histoire selon une trajectoire bien balisée. Et ça marche. La fin de cette seconde partie naviguera en eaux beaucoup moins troubles, négociant habilement un ou deux derniers twists pour la route, et maintiendra le cap pour atteindre son but en évitant les gros écueils.
Tout en figurant parmi les bonnes surprises des sorties DVD de la rentrée, I See You interroge de manière inédite la notion de genre au cinéma. Sans ne rien spoiler, on peut affirmer que le film, de par ses partis pris de mise en scène, renvoie, à divers degrés, à maintes facettes de ce que l’inconscient collectif en 2020 pourrait nommer "films d’épouvante". Malgré tout, au vu de son issue et de sa faculté réelle même d’épouvanter, peut-on prétendre que I See You ressortit au style de l’épouvante ? La question semble un enjeu majeur du film. En le chroniquant, Terreurvision choisit, de fait, son camp. Mais le doute est légitime. À partir de quand une production se range-t-elle dans une case plutôt qu’une autre ? Sans comparaison et toute proportion gardée, Funny Games de Haneke relève en même temps de l’home invasion, de l’angoisse et de l’horreur. Pour autant, il n’est l’objet de classification dans aucune de ces catégories. Sans doute la nature de sa tension constitue-t-elle la différence majeure avec le film d’horreur classique. Hors de toute esthétisation, elle découle froidement de situations communes, sans avertissement, dans une réalité palpable. I See You, comme tous les films de genre, s’attache plutôt à instaurer un climat pour ensuite y inscrire son action. Sa singularité consistera à ajouter une dimension de complicité tacite (sans rapport aucun avec celle, explicite, de Funny Games) avec le spectateur, dans une manière de jeu de dupes, avant de s’élancer pour de bon.
Si la mécanique du film est assez brillante et la carrosserie rutilante, l’intrigue a des relents d’huile usagée et d’essence frelatée et frise le prétexte. La surenchère de twists et de jeux sur les apparences ajoute à l’ensemble un arrière-goût d’exercice de style. I See You allume beaucoup de mèches à la fois. Si la plupart finissent par exploser, quelques-unes, hélas, font long feu, essaimant dans leur sillage questions sans réponses et incohérences. Le film pèche par excès de confiance et flirte avec la prétention. Malgré tout, à la présentation de la facture le client s’avoue satisfait. De l’anecdotique risqué et inspiré sera toujours préférable à du sensationnel scolaire barbant.
La bande-son électro synthétique de William Arcane nourrit l’ensemble, sans cliché, minimale et radicale, associée à une ritournelle folk additionnelle de Marc Morvan et Ben Jarry qui, elle, s’incruste, creuse et squatte les méninges pour une durée indéterminée. Le casting répond à l’appel. Comme le souligne Libe Barer alias Mindy, Helen Hunt (Projet X, Kiss Of Death, Twister…) dans le rôle de Jackie Harper joue les "creepy mom". Owean Teague (Cell Phone, Ça) incarne un Alec qui cache bien son jeu. À la photographie, Philip Blaubach (Kaleidoscope, Hush : en route vers l'enfer) excelle dans les ambiances nocturnes et sombres... I See You tient en haleine jusqu’au bout et c’est là l’essentiel. On lui pardonne sans trop de problèmes son trop-plein d’orgueil et son petit manque de rigueur.
M.V
EN BREF
titre original : I See You
réalisation : Adam Randall
distribution : Helen Hunt, Joe Tenney, Judah Lewis, Owean Teague, Libe Barer, Sam Trammell...
photographie : Philipp Blaubach
pays d'origine : États-Unis
budget : 3 000 000 $
année de production : 2019
date de sortie française : 22 juin 2020
durée : 98 minutes
adrénomètre : ♥
note globale : 4/5
† EXORCISME †
▲ Scénario
▲ Réalisation
▲ Bande-son
- DÉMYSTIFICATION -
▼ Intrigue faible
▼ Superficialité
▼ Exercice de style
LE FLIP
Une grenouille géante planquée sous le lit...
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