L'AU-DELÀ (1981) de Lucio Fulci [Critique]

Évaluation du dossier : 3.5/5 []

En 1927, dans un hôtel de la Nouvelle-Orléans, le peintre Schweick se fait lyncher par la population pour avoir peint une fresque représentant l’Enfer. Quelque cinquante ans plus tard, Liza Merril hérite de cet hôtel et entreprend de le rénover. Mais très vite, des évènements tragiques se succèdent et les ouvriers meurent dans des circonstances mystérieuses. Puis, Liza fait la connaissance d’Emily, une jeune aveugle, qui la met en garde contre ce lieu maudit : l’hôtel abriterait une des sept portes de l’Enfer dont le peintre martyr serait le gardien.


Après l'ineffable Frayeurs, Lucio Fulci poursuit son exploration des enfers de l'humanité avec L'Au-delà. Œuvre sensitive et extrême qui lorgne autant du côté de Lovecraft que de Dario Argento.


Afin de poursuivre l'entreprise horrifique démarrée avec L'Enfer des zombies et Frayeurs, le Romain Lucio Fulci s'entoure une nouvelle fois de son équipe gagnante composée notamment de Sergio Salvati à la photo,  Fabrizio de Angelis à la production, Fabio Frizzi à la musique, Giannetto de Rossi aux maquillages, Dardano Sacchetti au scénario et s'adjoint les services d'un autre fidèle dans sa filmographie, Massimo Lentini (Conquest, Troll 2) pour assurer la direction artistique de L'Au-delà. À partir du script de Sachetti, Fulci construit son film scène après scène, exploitant l'aura mystérieuse et inquiétante de la Louisiane au passé folklorique imprégné de la culture haïtienne afin de mieux plonger le public dans une atmosphère de malaise poisseux.


Attention toutefois, à l'instar de Frayeurs, il ne faut pas s'attendre à une histoire racontée de manière classique, même si ici, les choses semblent plus structurées. Lucio Fulci prend des libertés dans l'exploitation du scénario de Sacchetti aux inspirations Lovecraftienne –notamment le livre d'Eibon – et improvise beaucoup sur le plateau. D'une part parce que le lieu semble l'inspirer : lors du tournage en Louisiane, il ajoute la scène d'introduction décrivant l'arrivée des paysans par la rivière avant le lynchage de l'artiste et celle du pont abandonné, hautement symbolique sur lequel Liza rencontre Emily. Mais également parce que les impératifs financiers nécessitent certains réaménagements, comme la scène finale initialement prévue dans une fête foraine qui deviendra celle de la mer des ténèbres. Inspirée de l'œuvre de Fabrizio Clerici, il faut bien avouer que la conscience même de cet au-delà macabre et silencieux où l'usage de la vue n'est plus nécessaire a de quoi faire frémir.

Au-delà justement de ce sentiment d'enchaînement de tableaux gores, Fulci livre une intéressante œuvre métaphysique scrutant à la loupe l'enfer qui brûle à l'intérieur de chaque homme avec une vision pessimiste de rigueur qui génère un malaise constant. Car dans L'Au-delà l'espoir n'a pas sa place et c'est de cette idée développée tout au long du métrage que naît l'angoisse. Le cinéaste revendique publiquement l'influence d'Antonin Artaud, et il est vrai qu'il est difficile de ne pas trouver des références au théâtre de la cruauté tant la vie semble y ronger l'humanité. Le réalisateur utilise la violence et l'outrance gore (outre les traditionnelles énucléations, on trouve aussi un festin d'araignées cannibales, des visages ravagés par la chaux ou l'acide.....) pour mieux appuyer l'insondable horreur des thèmes qu'il développe, en l'occurrence ici la cruauté humaine, la noirceur de l'âme, l'enfer qui brûle en chacun et l'inexistence – ou a minima l'inaction  d'un Dieu qui selon lui, n'accueille personne au paradis.


Ainsi, on comprend mieux la scène finale glaçante dans la mer des ténèbres, refuge macabre qui, paradoxalement, assure aussi la fin de la persécution pour les héros. À elle seule, cette séquence cristallise tout le talent d'un réalisateur qui sait insuffler comme personne de la poésie dans les situations les plus glauques. Dans la foulée, il place la figure de l'artiste (ici Schweick) au rang de médium, de visionnaire qui porte en lui les tourments de l'humanité – on ne refait pas son éducation religieuse – qu'il recycle ici sous forme picturale, en peignant La Mer des ténèbres. Sa crucifixion et son massacre par les villageois ignorants – toute ressemblance avec le Frankenstein de James Whale n'est sans doute pas fortuite – enfermés dans leurs croyances, résonne évidemment avec notre époque au travers du sort que souhaiteraient réserver les apôtres de l'obscurantisme à ceux qui ne pensent pas comme eux. Les zombies, quant à eux, s'ils sont toujours de la partie, ce n'est que grâce à l'insistance des producteurs qui souhaitent surfer autant que possible sur un effet de mode, ce qui explique sans doute les libertés prises par le réalisateur italien dans leur manière d'être. Au final, très peu sont véritablement agressifs, ils sont plutôt montrés comme des âmes en errances, avec toujours cette démarche excessivement lente qui les rend inquiétants.


Pour les nouvelles générations, L'Au-delà donnera l'impression de naviguer constamment entre série B et série Z. Il est surtout une œuvre inclassable, attachante et inspirée, bien plus érudite qu'elle n'y paraît et mérite l'intérêt des cinéphiles, d'autant plus amateurs de gore. Souvent considéré, sûrement à raison, comme le meilleur volet de sa trilogie des portes de l'enfer, il ne parvient toutefois pas à atteindre les hauteurs de fascination hypnotique de Frayeurs et ce, bien que l'horreur graphique y soit toujours aussi gratinée et le goût pour le macabre toujours aussi assumé. On lui pardonnera dès lors ses similitudes troublantes avec le travail de Dario Argento à l'époque avec qui Fulci entretenait une certaine rivalité. Car à l'instar de Suspiria ou Inferno, on retrouve un système narratif particulièrement sensitif,  mais aussi le fameux livre d'Eibon qui pourrait se rapprocher de celui des Trois mères,  ou encore l'immeuble d'Inferno qui abrite une des portes de l'enfer, à l'instar de l'hôtel de L'Au-delà qui donnerait accès à l'une des sept portes de l'enfer. Des éléments troublants qui peuvent toutefois se justifier dans leur intérêt commun pour Lovecraft et le monde de l'occulte.
N.F.T.



EN BREF
titre original : E tu vivrai nel terrore - L'aldilà
distribution : Catriona MacColl, David Warbeck, Cinzia Monreale, Antoine Saint-John, Veronica Lazar...
pays d'origine : Italie
budget : 400 000 $
année de production : 1981
date de sortie française : 14 octobre 1981 - 16 octobre 2018 (médiabook Artus Films)
durée : 87 minutes
adrénomètre : ♥
note globale : 3.5/5

† EXORCISME †
▲ Gore
▲ Réalisation inspirée de Fulci
▲ Esthétique

 - DÉMYSTIFICATION -
▼ Comportement peu réaliste des personnages
▼ Similitudes troublantes avec le travail de Dario Argento
▼ Les araignées qui grincent et couinent ?

LE FLIP
Une arrivée inattendue dans l'au-delà...

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