[Critique] LA LONGUE NUIT DE L'EXORCISME (1972/1978) de Lucio Fulci

 Évaluation du dossier  :  4/5 []

En quelques jours, le meurtre de trois jeunes garçons vient troubler la quiétude d'Accendura, un petit village du sud de l'Italie. Un journaliste suit de très près l'enquête poussive d'une police locale qui peine à contenir la colère des villageois, dans un contexte de grande paranoïa.

On ne torture pas un petit canard ! Voici comment aurait dû s'appeler chez nous cette œuvre méconnue et pas moins pierre angulaire de l’œuvre de Lucio Fulci si elle avait gardé la traduction littérale de son titre original Non si sevizia une paperino.
C'était sans compter sur des distributeurs facétieux, voire indélicats qui lui préféreront le titre La Longue nuit de l'exorcisme, à celui de Paperino, plus bref lors de son exploitation vidéo, sans s'émouvoir du fait que l'essentiel de l'action se passe de jour et qu'il n'est à aucun moment question d'un exorcisme... passons.


S'offrant quelques libertés par rapport au giallo italien traditionnel, le regretté Lucio Fulci, pas encore responsable des débordements gores de Frayeurs ou de L'Au-delà, peint le tableau peu glorieux d'une ruralité glaciale et superstitieuse, théâtre de meurtres d'enfants. Fidèle à lui-même et armé de sa caméra si expressive, le cinéaste aimait déjà piéger son public dans une certaine intensité cinématographique, comme si le malaise voire la fureur qui transpirent des images cherchaient à compenser l'impossibilité de ressentir la douleur physique et psychologique de ses personnages.

Bien que tout le monde ne goûte pas le cinéma éloquent et jusqu’au-boutiste de celui que l'on surnomme le poète du macabre, il faut bien admettre que le dégoût ou l'empathie qu'il génère s'en retrouvent décuplés. Si l'on excepte les scènes macabres avec les enfants, sans le filtre qui serait aujourd’hui imposé par dame censure, la séquence la plus mémorable de La Longue nuit de l'exorcisme est sans aucun doute cette cruelle expédition punitive contre la "sorcière" du village, que l'on devine également responsable d'avortements. Accompagnée de la chanson mélancolique interprétée par Ornella Vanoni "Quei giorni insieme a te", ce moment de bravoure sur pellicule en devient alors insupportablement écœurant. Un artifice de mise en scène qui n'est pas sans rappeler un autre modèle de dramatisation de l'insoutenable, lors de l'agression de Mari, dans La Dernière maison sur la gauche, produit la même année. Wes et Lucio, même besoin irrépressible de graver la cruauté et la bêtise humaine sur pellicule ?


Cette liberté de ton peut étonner aujourd'hui, pour les raisons évoquées précédemment, mais aussi pour ce qui est de l'érotisation du corps féminin par de jeunes garçons qui plus est, tuent le temps en allant épier des prostituées en service dans les alentours. On retrouve là l'un des thèmes favoris de l'auteur, la perversion sous toutes ses formes qui suinte des personnages et qui vient, fatalement, faire écho à la pseudo-morale d'une Église que le réalisateur n'a jamais porté dans son cœur.

Côté casting, Lucio Fulci est plutôt inspiré et s'entoure d'excellents comédiens, à commencer par Florinda Bolkan (Le Venin de la peur) dans le rôle de Maciara, une marginale dont les étranges rituels lui prêtent des allures de sorcières. Patrizia, la citadine aux mœurs très légères est quant à elle interprétée par Barbara Bouchet (Casino Royal, Gangs of New-York). De son côté, Tomas Milian (Amistad, Traffic), fait dans la sobriété dans le rôle d'Andrea Martelli, un journaliste prêt à tout pour obtenir un scoop, quitte à enquêter lui-même sur ces meurtres, ce qu'il fait visiblement mieux que la police. Irène Papas (Zorba le grec, Série noire pour une nuit blanche) incarne la discrète et bien mystérieuse Don Aurelia Avallone et Marc Porel (L'Emmurée vivante) celui de son prêtre de fils. À noter aussi la présence au sein de la distribution de Georges Wilson dans le rôle de Francesco. Pas de fausse note non plus au niveau du score puisque la composition entêtante de Riz Ortolani (Cannibal Holocaust, Les Diablesses) atteint des sommets de mélancolie avec la chanson titre interprétée par Ornella Vanoni.



Portant l'héritage thématique de M. le Maudit, à la sauce Whodunit, La Longue nuit de l'exorcisme est surtout un giallo rural certes, sans arme blanche, mais pas moins majeur de l'âge d'or de la production transalpine. Film noir sans concession, on n'en attend pas moins du cinéaste qui laissait ici entrapercevoir les prémices horrifiques de sa future trilogie des portes de l'enfer. Avec un excès moindre, il offre toutefois quelque plans gores assez osés et multiplie les scènes choc, n'hésitant pas à mettre des enfants en proie à des problématiques adultes, en l’occurrence ici le meurtre et l'érotisation. Des choix qui ne sont pas gratuits et tendent vers une fable macabre et cruelle, dans laquelle Lucio Fulci, fidèle à sa réputation, s'exprime avec une liberté la plus totale.
N.F.T. 
EN BREF 
titre original : Non si sevizia une paperino
titre alternatif : Don't torture a Duckling / Paperino
distribution : Florinda Bolkan, Barbara Bouchet, Tomas Milian, Irène Papas, Marc Porel...
pays d'origine : Italie
budget : petit
année de production : 1972
date de sortie française : 22 mars 1978
durée : 98 minutes
adrénomètre : ♠
note globale : 4/5

† EXORCISME †
▲ Sujet traité sans filtre
▲ Mise en scène audacieuse
▲ Casting

- DÉMYSTIFICATION -
▼ Le titre de l'exploitation française
▼ Manque de budget
▼ Effets spéciaux parfois cheap

LE FLIP
Une poursuite dans les bois dans la nuit.

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