[Critique] FRANKENSTEIN (2015/2016 - DTV) de Bernard Rose

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Lorsque le Monstre se réveille dans un laboratoire scientifique, il ne sait pas vraiment qui il est. Mais la violence qu’on inflige à cet enfant prisonnier dans un corps d’adulte lors de tests médicaux va lui faire découvrir l’existence d’un monde étrange, sombre et cruel. Blessé, traumatisé et livré à lui-même, il sillonne la ville, suscitant la crainte et l’effroi chez ses habitants et atterrit finalement dans les rues les plus pauvres et sordides de Los Angeles...
 
Après SX Tape, un found footage peu inspiré qui n'a pas franchement marqué les mémoires, Bernard Rose revient à un cinéma plus "classique" tout en conservant la caméra portée qui apporte une touche de cinéma vérité à cette relecture contemporaine de Frankenstein.
Un projet audacieux voire à risque tant le sujet est omniprésent sur les écrans depuis les débuts du cinéma. Heureusement, cette nouvelle variation issue du roman "Frankenstein ou le Prométhée moderne" de Mary Shelley parvient à tracer sa propre voie et s'imposer dans le peloton de tête des adaptations dédiées au monstre.

Bernard Rose raconte son histoire à la première personne, il nous fait partager les pensées et les états d'âmes du monstre en plein apprentissage de la condition humaine. En découle une empathie assez forte pour cet ange déchu, cet être enfantin doté d'une force incontrôlable et dont l'innocence contraste en permanence avec les déchaînements de violence qu'il libère.


Peu après la naissance du monstre sous les réactions émerveillées des médecins, celui-ci expérimente très vite le concept de l'abandon mais sans en prendre encore réellement conscience. Bernard Rose adopte une approche psychologique et naturaliste et rend d'autant plus cynique le détachement morbide des médecins lors d'une expérience dégradante pour leur cobaye en voie de zombification. La scène d'euthanasie qui s'en suit, particulièrement éprouvante, annonce la couleur d'un premier tiers composé d'une bonne dose de stress dans un écrin bien gore.

La partie suivante s'intéresse aux errances du monstre et l'on quitte le côté thriller médical en huis clos pour entrer dans une quête initiatique empreinte de cette poésie si caractéristique du cinéma de Bernard Rose. Le monstre y expérimente encore, mais de manière plus frontale et consciente, le sentiment d'abandon, tout en découvrant au fil de ses rencontres tout le spectre de la nature humaine. Comme James Whale en son temps, Bernard Rose développe son sujet sous forme de chronique sociale et démontre l'acharnement des hommes impitoyables qui commettent des actes de vengeance barbares à l'encontre de ce monstre naïf essentiellement victime de malentendus à répétition et d'incompréhension réciproque.


Le cinéaste va même pousser le bouchon en convoquant la religion alors que du point de vue thématique, Frankenstein témoigne justement d'un affranchissement de la science face à l'obscurantisme religieux. Ici, il fait du monstre une figure quasi christique, fils de scientifiques qui ont acquis l'ultime pouvoir divin. On souligne aussi une volonté évidente de remettre la femme à l'origine du processus créatif via la scientifique interprétée par Carrie-Anne Moss, à la fois génitrice et figure maternelle pour le monstre. Plus tard, roué de coups par un groupe de redneck vengeurs, le monstre finit attaché par les bras à leur tracteurévoquant ici la passion du Christ puis sa mise en croix avant d'être trainé dans la terre qui l'ensevelira, laissé pour mort. Il apparaît dès lors tel un être maudit en errance que la nature condamne au pire : l'immortalité et perdre tout ceux qu'il aime.  

Toujours du point de vue thématique, alors que le Frankenstein de Whale puisait une partie de sa légitimité dans le contexte de la Grande Dépression aux États-Unis dont il voulait, tout comme le cinéma fantastique de l'époque, sinon relativiser, "cathartiser"  la violence, celui de Bernard Rose semble de son côté interroger la moralité au XXIe siècle. Celle des hommes modernes tombés sous le joug d'une science sans limites, tout en abordant d'autres thématiques contemporaines comme le culte de l'apparence, le sentiment de perte d'empathie de nos sociétés, des valeurs essentielles de la vie...


Niveau casting, c'est toujours un plaisir de retrouver Carie-Anne Moss (Matrix, Silent Hill Revelation 3D...) ici dans le rôle d'une scientifique déchirée entre refoulement et acceptation de la créature qu'elle a créée et surtout du lien qui s'est tissé avec elle. Xavier Samuel (The Loved One) est quant à lui époustouflant dans le rôle du monstre, il parvient à se montrer effrayant, repoussant et touchant avec ce qu'il faut de nuance pour créer un sentiment d'empathie avec le spectateur. Cerise sur le gâteau, ce film est aussi celui des retrouvailles puisque l'on a le bonheur d'y voir Candyman, du moins son interprète, Tony Todd, dans le rôle de l'ami improbable, bluesman, clochard et aveugle. Même si Tony Todd n'y reprend pas son rôle mythique, le spectre de ce drame social horrifique hante Frankenstein, le chemin de croix de Candyman, puis celui d'Helen étant ici remplacé par la longue agonie du monstre alors qu'il prend conscience de sa condition jusqu'à ce qu'il décide de devenir maître de son destin. 

Si les moments de flip sont déjà consommés à l'issue du premier tiers du film et que le manque d'argent lui donne parfois une allure persistante de modeste série B, peu importe. Ces menus défauts sont compensés par des effets gore généreux et réussis, un sens de la mise en scène très immersif dont l'impression de proximité qui en découle renforce le lien d'empathie tissé avec le monstre. C'est à cette condition que fonctionne cette relecture moderne du célèbre roman de Mary Shelley dont il se veut le reflet contemporain et fidèle (voix off du monstre, la fin) auquel il ajoute une dimension spirituelle, de l'ordre du mystique. Bernard Rose remet aussi la femme au cœur du processus créatif et finit par convaincre qu'il avait bien son mot à dire sur l'un des sujets matriciels du cinéma et de la littérature horrifique.
N.F.T.


EN BREF
titre original : Frankenstein
pays d'origine : États-Unis / Allemagne
budget : petit
année de production : 2015
date de sortie française : 8 mars 2016 (DTV - Metropolitan Vidéo)
durée : 89 minutes
adrénomètre : ♥
note globale : 4/5

† EXORCISME †
▲ Adaptation originale
▲ Gore
▲ L'aspect drame poétique

- DÉMYSTIFICATION -
▼ Petit budget
▼ Certains personnages insuffisamment développés
▼ Peu flippant

LE FLIP
Une mise à mort ratée et pénible...

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