US (2019) de Jordan Peele [Critique]


Évaluation du dossier : 4/5 []

De retour dans sa maison d’enfance à Santa Cruz sur la côte californienne, Adelaide Wilson a décidé de passer des vacances de rêve en compagnie de son mari Gabe et leurs deux enfants : Zora et Jason. Après une journée tendue à la plage, les Wilson rentrent à la maison. Dans la soirée, ils découvrent quatre personnes se tenant la main dans leur allée. Ils vont alors affronter le plus terrifiant et inattendu des adversaires : leur propre double.


Auréolé d'un oscar avec son premier long-métrage Get Out, Jordan Peele poursuit l'exploration politique et paranoïaque de l'Amérique avec... Us, une œuvre sombre et caustique qui devrait ravir les adeptes du grand remplacement et autres théories conspirationnistes...

Avec plus de 265 millions de dollars de recettes tous pays et supports confondus, pour un budget de 4,5 millions de dollars, Get Out a été l'une des grosses surprises de l'année 2017. Recruté par l'écurie Blumhouse, le réalisateur Jordan Peele finira même par leur récolter l'oscar du meilleur scénario. Logique donc que la boite de Jason Blum encourage son nouveau poulain à poursuivre sur la même voie, d'autant que le public aussi attend sa prochaine livraison de pied ferme. C'est chose faite avec Us, une histoire de doubles opprimés auxquels va devoir se confronter une humanité indigne de ses privilèges.


Le contexte est simple : des milliers de kilomètres de tunnels abandonnés sillonnent le territoire américain sans que l'on sache réellement ce qui s'y passe. Très vite, on comprend qu'une expérience gouvernementale secrète y a mal tourné. Sur ce postulat, Jordan Peele qui, nous l'avons compris avec Get Out aime offrir à son cinéma plusieurs niveaux de lecture, aborde en filigrane de nombreux thèmes tels la lutte des classes, les injustices sociales, le rêve américain – auquel renvoie aussi  le titre – mais il aborde aussi des sujets plus intimes comme le double maléfique et la peur de soi. Pour aborder ces thèmes, il use de symboles forts, la paire de ciseaux, arme des reliés, en est le plus parlant, tout comme le palais des glaces et son évocateur slogan "Trouvez qui vous êtes". L'utilisation des masques n'est pas non plus anodine, par leur pouvoir de dissimulation, pas plus que ces cages à lapins, autant miroir de la condition des habitants du monde souterrain qu'indice culinaire d'un repas que l'on devine servi à l'infini, tels des animaux invariablement nourris aux croquettes. Il n'est toutefois pas question pour Peele de proposer un univers complètement hermétique et pour cela, il distille un savant mélange d'énigmes et de clés qui, selon les sensibilités, pourront sembler excessives ou insuffisantes. Cependant même là, le réalisateur a confié qu'une mythologie avancée existait et qu'une extension de cet univers était tout à fait envisageable, coupant ainsi l'herbe sous le pied de ceux qui reprochent une impression de légèreté scénaristique.


Jordan Peele fort d'un solide background dans le domaine de la comédie et notamment la série Key & Peele, aussi absurde que sarcastique, continue ici de pratiquer une certaine forme d'humour – si l'on rit, c'est la plupart du temps jaune – nous gratifiant de répliques et situations mordantes, notamment liées aux rapports de force dans la vie de couple, ou plus largement dans la vie de famille : la gamine scotchée à son smartphone, le langage vulgaire de son frère... ce qui contrebalance une situation de stress permanent. Cependant, l'ensemble n'est jamais vraiment effrayant et ces interventions amusantes ne viennent jamais gâcher la tension jusqu'ici à l'œuvre. Mieux, elles ont plutôt tendance à créer un sentiment de fatalisme assumé intéressant. La mise en scène n'est jamais paresseuse et on plonge avec cette famille dans les méandres de cette dimension malaisante, jamais bien loin de la fameuse "Quatrième Dimension". Rien d'étonnant que le réalisateur soit chargé de remettre la série culte au goût du jour tant il maîtrise ce genre d'écriture où le quotidien vire à l'improbable. Une audace à double tranchant puisque tout n'est pas toujours cohérent et qu'il est important de se laisser porter par le récit si l'on veut s'assurer d'adhérer au concept jusqu'aux ultimes minutes.


Quoi qu'il en soit, il est évident que Jordan Peele prend un pied monumental – et contagieux – avec son projet. Il s'en dégage quelque chose de sombre mais pas moins ludique, avec ses personnages mis en difficulté dans des situations improbables. On retient à ce titre les brillantes prestations de Lupita Nyong'o (Star Wars - Les Derniers Jedi, Black Panther), Winston Duke (Modern Family, Black Panther, Avengers: End Game), Shahadi Wright Joseph (Le Roi lion) et Evan Alex (Kidding). Le cinéaste s'amuse avec un twist final saisissant, qui se prolonge par des théories folles autour d'un intrigant échange de regard dans son ultime séquence. Alors certes, Us, bien qu'il adopte un discours politique véritable, ne cherche pas le réalisme absolu dans son traitement et ne s'appuie pas sur des faits scientifiques. Il doit se déguster comme une bizarrerie qui aurait pu sortir de l'imagination de Rod Serling ou de David Lynch (inoubliable Twin Peaks et ses "doppelgänger"). Pour Peele, c'est l'occasion d'évoquer ce passager sombre relié à chaque humain, tout en exprimant avec une passion absolue l'expression de son univers cinématographique si singulier.
N.F.T.




EN BREF
titre original : Us
distribution : Lupita Nyong'o, Winston Duke, Elisabeth Moss...
pays d'origine : États-Unis
budget : 20 000 000 $
année de production : 2019
date de sortie française : 20 mars 2019
durée : 116 minutes
adrénomètre : ♥
note globale : 4/5

† EXORCISME †
▲ Réalisation soignée
▲ Histoire originale
▲ Angoissant

 - DÉMYSTIFICATION -
▼ Peu effrayant
▼ Parfois opaque
▼ Cousu de fil blanc

LE FLIP

Umbrae, le double de Zora...

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