TWIN PEAKS SAISON 3 (2017 - TV) de David Lynch [Critique]

Évaluation du dossier : 4/5 []

Depuis 25 longues années, l'agent du FBI Dale Cooper est prisonnier de la Loge noire alors que Mr C., son doppelgänger, sillonne les routes des États-Unis semant la mort sur son passage. Un autre double de Cooper, Douglas Jones, vit à Las Vegas avec son épouse Janey-E et son fils Sonny Jim. Ce dernier retourne dans la Loge noire pour disparaître alors que le vrai Cooper, expulsé du même lieu par le double maléfique de l'Homme venu d'ailleurs, prend sa place...


Inespéré, le retour de la série Twin Peaks a ravi un grand nombre de téléspectateurs restés dans un état de frustration extrême après avoir dû quitter la petite ville montagnarde et ses habitants sans un au revoir et sur un cliffhanger ô combien cruel.

  

"That gum you like is going to come back in style". Quand David Lynch et Marc Frost twittent simultanément cette citation le 3 octobre 2014, une certaine fébrilité se fait sentir sur la toile. Sujette à toutes les interprétations, la petite phrase inspirée d'une réplique de l'Homme venu d'ailleurs – le nain dansant si vous préférez – est rapidement clarifiée par le duo qui vient effectivement de signer avec Showtime pour un retour imminent à Twin Peaks. L'espoir renaît auprès de la communauté des fans et malgré quelques sueurs froides à l'annonce du  – bref – retrait du projet de David Lynch pour des raisons financières, les choses s'arrangent finalement et le premier tour de manivelle est donné au mois de septembre de l'année suivante. Générique !


Cette troisième saison étant tournée comme un long film, David Lynch, choisit d'en déterminer le nombre d'épisodes à l'issue du montage final. De neuf prévus au départ, il y en aura le double.  On n'attendait pas moins de liberté pour le cinéaste qui s'est quand même pas mal fait désirer ces dernières années. Sa vision unique, cryptique et mystique est restée intacte, mieux, elle se répand plus que jamais dans son œuvre, dans la vision de son art qui ne sacrifie rien sur l'autel de l'audimat. Plus sombre, jusqu’au-boutiste et effrayant que jamais, le retour du réalisateur de Blue Velvet dans le monde de la série télévisée, entraîne, une nouvelle fois, l'appropriation d'un média qu'il avait déjà lui-même révolutionné durablement à l'époque. Pour faire simple, sans Twin Peaks, nous n'aurions probablement pas eu de Lost ou de X-files, dont David Duchovny sera un maillon commun.


Dès les premières images, on a l'étrange sensation que c'était hier que l'on quittait la vraie fausse petite ville de l'État de Washington, à l'époque où la créativité effrayait mois les studios et où l'on se réjouissait de chaque livraison du réalisateur d'Eraserhead. Cette relation au cinéaste, teintée d'émotions et de souvenirs, s'éveille à nouveau dès les premières notes et images du générique de début. Puis ces personnages plus vieux de 25 ans, une première dans l'histoire de la télévision, créent une troublante proximité avec le téléspectateur. Ce bond temporel est accompagné d'une angoisse sourde et intermittente, qui se manifeste à chaque fois qu'apparaît un ancien personnage. Mais elle est contrebalancée par la jubilation de retrouver ces vieilles connaissances et, plus globalement, par le soulagement de constater que David Lynch n'a rien perdu sa fougue malgré sa retraite anticipée. Pour faire clair et simple et sans déflorer les multiples intrigues, le cinéaste nous sert au fil des épisodes l'essence de son cinéma, sans aucun filtre. En résulte des séquences parfois déstabilisantes qui risquent de laisser à quai les téléspectateurs les moins enclins à apprécier les œuvres livrées sans mode d'emploi. Car rien n'est simple dans l'univers de Twin Peaks, petite ville américaine où le mal semble apprécier séjourner. Autre épreuve qu'il faudra savoir surmonter : le traitement du personnage de Dale Cooper. Bien qu'attachant, on s'interroge sur l'utilité d'un tel sort, bien que cela incite le spectateur à mieux regarder ailleurs et désacraliser celui qui était jusqu'alors la principale figure héroïque de la série.


Le retour inopiné de David Lynch à Twin Peaks fait fatalement boule de neige et entraîne un troublant défilé, tantôt amusant, tantôt émouvant, d'anciennes têtes. On retrouve ainsi Kyle MacLachlan, employé multitâche inattendu et dont certains traits peuvent susciter autant le rire et l'inquiétude, qu'une frustration légitime. Sheryl Lee revient aussi dans la Black Lodge pour incarner la magnétique Laura, tout comme Sherilyn Fenn qui campe une Audrey Horne à la vie de couple conflictuelle et plutôt inattendue. James Marshall reprend son rôle de James Hurley et Wendy Robie celui de sa tante hystérique, Nadine Hurley. Pour ce qui est d'Ed Hurley, après des recherches via les réseaux sociaux, le cinéaste a fini par retrouver et convaincre Everett McGill (Peur Bleue, Le Sous-sol de la peur) d'interrompre sa retraite malheureusement entamée en 1999. Dana Ashbrook rempile dans le rôle de Bobby Briggs devenu adjoint du shérif, David Duchovny se travestit de nouveau en Denise, sans oublier David Lynch qui incarne un Gordon Cole plus sourd que jamais. S'il est difficile de citer tout le monde, il est surtout mieux de profiter de ces retrouvailles surprises au fil des épisodes. Nouveaux personnages obligent, le casting déjà remarquable devient cette fois vertigineux en la présence de Naomi Watts dans le rôle de l'épouse de Douggie, de Michael Cera dans celui de Wally Brennan ou encore de Robert Forster qui remplace le shérif Truman en incarnant son frère Frank. Impossible là encore de citer tout le monde, mais on peut noter la présence appréciable de Laura Dern, James Belushi, Mattthew Lillard, Meg Foster, Sarah Paxton, Tom Sizemore...  Impossible non plus de ne pas rendre un hommage à ceux qui ont disparu entre-temps comme Catherine Coulson, éternelle et ici émouvante femme à la bûche. Proche amie de David Lynch et décédée avant le tournage officiel, sa présence constitue une véritable surprise lors de la diffusion de la série. Miguel Ferrer (le légiste Rosenfield) nous a quittés aussi en début d'année 2017 et plus récemment, c'était au tour de Brent Briscoe qui interprétait le détective Dave Macklay et d'Harry Dean Stanton  de tirer leur révérence.


David Lynch n'est pas du genre à faire des concessions et, fidèle à lui-même, il poursuit son exploration cinématographique, entre expérimentations vidéo et scènes mystiques voire métaphysiques dont il est évidemment impossible de faire un retour exhaustif en moins de 10 tomes. Avec une réalisation très "cinématographique", un scénario tentaculaire coécrit avec Mark Frost, une bande-son enivrante d'Angelo Badalamenti, le retour de la série se fait sous les meilleurs auspices. David Lynch, qui contribue aussi à la bande-son, en fait un élément central, ce qui n'a rien d'étonnant au vu des nombreuses incursions du cinéaste dans le monde musical. La série prend même une étrange allure d'émission télévisée lorsque chaque épisode se conclu par une chanson au Bang Bang Bar, où têtes d'affiche, révélations et espoirs se partagent la scène (Chromatics, Nine Inch Nails, Au Revoir Simone, The Cactus Blossom...). De manière plus globale, si certains vont s'agacer du fait que l'intrigue de certains épisodes semblent avancer au ralenti, le réalisateur renoue aussi brillamment avec les expérimentations d'Eraserhead notamment lors d'un épisode 8 aux allures de 2001 télévisuel, s'imposant comme le plus "ovniesque" de l'histoire de la télévision. Malgré ces écueils pour le grand public, tout à fait domptables pour les initiés, le plaisir demeure. Plus de 25 années ont passé chez les téléspectateurs, les acteurs et chez David Lynch, devenu bien trop rare à la télévision et dont le style inimitable nous rappelle ici, épisodes après épisodes, qu'au fond il nous manquait et manque au cinéma, non ?
 N.F.T.


EN BREF
titre original : Twin Peaks: The Return
distribution : Kyle McLachlan, Sheryl Lee, Sherilyn Fenn, David Lynch, Naomi Watts...
pays d'origine : États-Unis
budget : N.C.
année de production : 2017
date de sortie française : du 25 mai au 3 septembre 2017 sur Canal+
durée : 990 minutes
adrénomètre : ♥
note globale : 4/5

† EXORCISME †
▲ Retour inespéré
▲ 100 % lynchien
▲ Retour d'Everett McGill

- DÉMYSTIFICATION -
▼ Les absents des saisons précédentes
▼ L'agent Cooper
▼ Mode d'emploi nécessaire

LE FLIP
L'entité surnaturelle qui jaillit de la boite en verre.

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