[Critique] DARK WATER (2002/2003) de Hideo Nakata

ADRÉNOMÈTRE  ♡ 
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Yoshimi Matsubara est en instance de divorce. Elle se démène pour conserver la garde d'Ikuko, sa fille âgée de six ans. Pour améliorer leur quotidien, elle trouve un modeste travail et emménage dans un appartement qui va vite se révéler insalubre. Des bruits étranges retentissent à l'étage supérieur. Puis, au plafond, une tâche d'eau apparaît, de plus en plus importante, entamant peu à peu l'existence fragile de la jeune femme. Il se pourrait que le fantôme d'une fillette hante les lieux, pire, elle semble essayer de séparer Yoshimi de sa fille.

Quelques années après Ring, qui lui assurait une popularité internationale, Hideo Nakata revenait à l'épouvante intimiste avec Dark Water, adapté de la nouvelle parue en 1996 dans le recueil de nouvelle homonyme de Koji Suzuki, sous le titre "L'Eau Flottante".
Un auteur qui parle forcément aux connaisseurs puisqu'il était déjà à l'origine du roman "Ringu" paru en 1991, et dédié à la célèbre cassette vidéo maudite qui fera le succès de Hideo Nakata. La boucle est bouclée...

S'il dégage une ambiance lourde et pesante, ponctuée de quelques moments angoissants, ce n'est toutefois que dans sa dernière partie que les choses se décoincent un peu et que la peur commence à se faire sentir. Pour le reste, tout semble parfaitement orchestré, mesuré, on sent que rien n'est laissé au hasard, afin de toujours mieux guider le spectateur dans ses errances, se gardant bien, toutefois, de lui mâcher le travail. De plus, Nakata use avec brio des ficelles de l'épouvante déjà éprouvées par le passé, on songe notamment à Robert Wise et sa Maison du Diable, pour créer le malaise tout en cultivant une certaine suggestion. Dark Water met également en avant son aspect film social. On songe notamment à Roman Polanski, mais aussi Krzysztof Kieślowsi, face à certaines scènes épurées qui pourraient être issues de son Décalogue.




Comme indiqué dans son titre, c'est ici de l'eau que semble découler les ennuis de Yoshimi et Iruko. La découverte d'une tâche au plafond devient une véritable source de contrariété pour cette mère fragile, et l'on saisit rapidement l'allégorie qui se met en place, autour de ce qu'elle traverse dans la vie : recherche d'un appartement, d'un job, le divorce avec un mari prêt à tout pour récupérer sa fille, probablement par vengeance. La caméra scrute dès lors, avec une précision chirurgicale, le quotidien de cette famille éclatée. Car au delà d'une histoire de fantôme, Nakata propose un drame intimiste, auteurisant, et nous raconte avant tout l'histoire d'une mère célibataire confrontée à une société qui avance de manière assez égoïste, quitte à tout broyer sur son passage et étouffer dans l’œuf toute chance de nouveau départ. La quasi indifférence du concierge dans l'immeuble, le bailleur qui voit la tâche mais ne dit rien, cette tâche qui ne fait que s’étendre, mais aussi la présence de ce sac d'écolière dont elle ne parvient pas à se débarrasser semblent lui annoncer une avenir bien sombre, une situation dans laquelle elle ne pourra pas s'extirper. Son passé lui est sans cesse renvoyé en pleine figure, la plupart du temps par son mari, ses problèmes de santé, le divorce de ses parents et puis cette enfant, Mistuko, qui semble tout mettre en œuvre pour séparer sa maman d'Hikuko. Alors Dark Water, un film sur la maternité ? Sur un immeuble hanté ? Sur le drame de la misère sociale ? Sur le sentiment d'abandon inéluctable d'une enfant par sa mère ?


[SPOILER : Que comprendre du film ? L'une des pistes les plus intéressantes concerne cette mère seule, dépassée par les événements, par les difficultés, qui se voit contrainte de passer le relais, et donc se sacrifier pour assurer un meilleur avenir à sa fille en l'éloignant du fantômes mais en la rendant aussi à son père. Il est parfaitement imaginable que cette histoire de fantôme n'existe que du point de vue de la petite Hikuko et que, petite, elle ait inventé cette histoire de fantôme à partir de l'avis de recherche collé aux abords de l'école. Il est, dans ce cas, fort probable que la garde de l'enfant ait été retirée à Yoshimi et que cette dernière se soit donnée la mort, puisqu'elle lui disait ne pouvoir vivre sans sa fille. Son départ avec le fantôme de Mitsuko deviendrait alors une sorte d'échappatoire qu'Ikuko s'est construite pour supporter cette rupture du lien maternel. La scène finale mélangerait alors réalité (l'immeuble où elle a vécu très peu de temps avec sa mère) et souvenirs (le souvenir qu'elle a de l'appartement et le dialogue avec Yoshimi coincée ici avec Mitsuko). Dans un autre cas de figure, on peut imaginer pour Yoshimi une tentative de briser le cercle, puisque l'on comprend lors de la première séquence qu'elle aussi a souffert petite de ce sentiment d'abandon. Si l'élément fantastique s'avère réel, on imagine que son choix lui permet de se rendre utile auprès de ceux qu’elle peut encore aider (le fantôme de Mitsuko), tout en offrant un avenir meilleur à sa fille qui retournera chez son père. Ainsi, si l'on croit en la dimension fantastique du film, son geste lui fait devenir un fantôme elle-même, tout en conservant un rôle maternel, devenant la mère adoptive de Mitsuko. Bien évidemment, toute la magie du film de Nakata réside dans sa capacité à susciter de multiples interprétations, et, selon les sensibilités, expliquer le film.]

De plus, la réflexion qu'engage Dark Water mène à des analyses passionnantes, voire "casse-gueules", qui nous renvoient aujourd'hui à toute une frange de cinéastes, dont M. Night Shyamalan ou même plus près, à notre Pascal Laugier national,  qui volontairement ou non, enveloppent leurs films d'une idéologie qui peut prêter à polémique. Et force est de constater que ce drame intimiste à la sauce yurei eiga soulève de nombreuses questions sur le message qu'il veut, ou en tout cas peut transmettre, offrant une durée de vie post visionnage assez intéressante. Pour Hideo Nakata il semblerait qu'il soit moins question de faire peur qu'offrir un état des lieux de son Japon natal, qui visiblement ne laisse que peu de places aux plus faibles.
N.T.

Dark Water a reçu le grand prix, le prix du jury jeunes et le prix de la critique internationale lors du 10e Festival du Film Fantastique de Gérardmer en 2003.

EN BREF
titre original : Honogurai Mizu no Soko Kara
pays d'origine : Japon
année de production : 2002
budget : 4 000 000 $
date de sortie française : 26 février 2003
durée : 97 minutes
adrénomètre : ♥♥
note globale : 5/5

† HANTISE
▲ Flippant
▲ Passionnant
▲ Touchant

 -  DÉMYSTIFICATION -
▼ Lent
▼ Complexe
▼ Auteurisant

LE FLIP
Des bruits dans la citerne à eau...

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