VAMPYR de Carl Dreyer (1932) [Critique]


Évaluation du dossier : 5/5 []


Un jeune homme passionné d’occultisme se perd dans une contrée obscure. Il trouve refuge dans une pension environnée de personnages et de situations étranges. Son goût pour le mystérieux l’entraîne alors dans une excursion trouble où la frontière entre fantasmagories et réalité semble très poreuse.

Vampyr a beau être un grand classique du fantastique, il risque fort de déstabiliser les amateurs purs et durs de suceurs de sang. Ici, aucune goutte d’hémoglobine ni quenotte à l’horizon. Demeure un chef d’œuvre de poésie et de cinéma tout court, qu’il faut juste voir ou revoir toute affaire cessante. Jusqu’à la mort et au-delà.

Sorti en 1932, Vampyr est le 10e long-métrage du réalisateur danois Carl Theodor Dreyer, et son 1er film sonore. Or, premier point étonnant, l’auteur n’introduit pas son histoire par l’utilisation de la parole mais directement grâce à un bon vieil intertitre. Il profite en cela de la croisée des mondes cinématographiques, muet/parlant, pour signifier le propos principal du récit, à savoir l’onirisme, mêlé de religion, que suscite la confusion de deux autres mondes, celui des vivants et celui des morts. À la manière d’un conte, ce mix de classicisme et de modernité nous propulse dès les premiers instants dans une auberge au cœur d’une campagne embrumée. Allan Gray (Julian West), jeune voyageur épris de recherches sur les questions de l’âme, y fait halte, d’emblée saisi par l’atmosphère mystérieuse du lieu. Fin observateur de surnaturel et diableries diverses, il perçoit un lien entre l’agonie de Léone, jeune femme du voisinage (Sybille Schmitz), les agissements énigmatiques d’un estropié complice d’un médecin, et un sentiment d’inquiétude envahissant. À moins qu’il ne soit victime de sa trop grande imagination.


On reconnaît ici les caractéristiques vampiriques, la victime innocente, le lieu insolite, les affidés du monstre. Ajoutons le cercueil et le pieu, le compte est bon. L’originalité et la modernité surgissent de la mise en scène qui n’insiste pas sur ces éléments mais les place sur le même plan que le reste. Au spectateur, comme à Allan Gray, de les identifier et de reconstituer le puzzle. Doutes et angoisse planent et s’entremêlent. Dreyer utilise les fondations du mythe du vampire, déjà bien établies à cette époque du noir et blanc, pour en dégager une singularité poétique et fantastique. Adapté de deux nouvelles de Sheridan Le Fanu, le scénario adopte le point de vue d’Allan Gray, personnage lunaire tout droit sorti de l’univers de H.P. Lovecraft. Incarné par Julian West, curieusement ressemblant à l’écrivain américain lui-même, il erre incrédule et subjugué, plus qu’il n’agit, dans une quête à la fois mystique et initiatique.


Dreyer cherche avant tout à traduire la dérive d’un rêve éveillé, le sentiment d’immatérialité et la subjectivité de la perception du réel. Le film est d’ailleurs sous-titré "le rêve d’Allan Gray". Le réalisateur déploie pour cela un arsenal d’inventivités visuelles techniques et stylistiques. Jeux d’ombres, surimpressions, surexpositions, reflets, économie de dialogues et des effets sonores au profit de la musique du compositeur Wolfgang Zeller, créent le climat unique de Vampyr. L’orthographe même du titre avec son Y, qui n’est rien d’autre qu’une erreur finalement retenue, associée à une typographie cryptographique, annonce la couleur. Un autre accident vient parfaire l’ambiance crépusculaire. Dreyer et le directeur de la photographie Rudolph Maté décident, lors du visionnage des premiers rushs, de conserver une lumière grisâtre qui imprime la pellicule, magnifiant la sensation de flou et de perte de repères. Quant aux décors d’Hermann Warm, ils ne négligent aucuns détails. Un élevage d’araignées est même entrepris. Une usine désaffectée est utilisée et accentue la notion d’abstraction. Dans la même intention, Dreyer joue de l’intemporel lorsqu’il détourne les codes du cinéma muet en intercalant des gros plans de lecture de pages d’un grimoire, en guise d’intertitres explicatifs.


Léone, interprétée par Sybille Schmitz, sous l’emprise du vampire, marque, le temps d’une séquence culte, l’histoire du cinéma. Son faciès enfiévré et possédé n’est pas sans rappeler Harriet Andersson dans À travers le miroir de Bergman 30 ans plus tard. Tout comme le docteur, incarné par Jan Hieronimko, a sans doute inspiré le fameux professeur Abronsius du Bal des vampires de Polanski. Cette unique incursion de Dreyer dans le genre fantastique fut, à sa sortie, un échec commercial et plongea l’auteur dans la dépression. Aujourd’hui les pendules sont remises à l’heure et la damnation est levée. Vampyr s’avère d’une audace majeure, visionnaire, indémodable et indépassé.
M.V.


EN BREF 
titre original : Vampyr - Der traum des Allan Gray
réalisation : Carl Theodor Dreyer
scénario : Christen Jul, Carl Theodor Dreyer, d'après le roman de Sheridan Le Fanu
distribution : Julian West, Maurice Schutz, Sybille Schmitz, Rena Mandel, Henriette Gérard, Jan Hieronimko, Jane Mora, Albert Bras...
photographie : Rudolph Maté
musique : Wolfgang Zeller
pays d'origine : Allemagne / France
budget : N.C.
année de production : 1932
date de sortie française : 23 septembre 1932 - 4 mars 2021 (Blu-ray / DVD)
durée : 70 minutes (version restaurée, 1998)
adrénomètre : ♠ 
note globale : 5/5


† EXORCISME † 
▲ Mise en scène
▲ Photographie
▲ Décor

- DÉMYSTIFICATION - 
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LE FLIP 
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