WARNING: DO NOT PLAY (2019/2020) de Kim Jin-won [Critique]

 Évaluation du dossier : 4.5/5 []


Une réalisatrice de film d’horreur en devenir est à la recherche du sujet de son premier film. Quand un de ses amis lui apprend l’existence supposée d’un film tourné par un fantôme, elle est immédiatement fascinée. Plongée dans ses recherches, elle écrit un scénario qui la met en scène sur les traces de cet étrange film. Au fil de son enquête, les phénomènes étranges autour d’elle se multiplient…



Plus qu’un cri d’amour au cinéma d’horreur, Kim Jin-won signe avec son second long-métrage une véritable reconnaissance de dette au genre, fournit de sérieux gages en vue d’un apurement à venir, et crée un nouveau concept : l’ovni anti-ovni, entre Godard, Columbo et Wes Craven.

Douze ans se seront écoulés entre The Butcher, premier film de Kim Jin-won en 2007 et Warning: Do not Play. Faut-il voir dans ce silence une panne d’inspiration ? Une exigence d’écriture ? C’est en tout cas le point de départ du scénario de Warning: Do not Play. L’héroïne Park Me-jeong, interprétée par la sublime Seo Ye-ji, est une jeune cinéaste prometteuse à la recherche du scénario parfait de film d’horreur, sous la pression de son agent. Obnubilée par une rumeur au sujet d’un mystérieux film d’étudiant, elle se lance à la poursuite du légendaire métrage qui la conduira au-delà de ce qu’elle aurait imaginé.


Si l’histoire elle-même ne déborde pas d’originalité, le mode de narration, lui, explose tout sur son passage. Cette singularité constitue à la fois la force et la faiblesse du film. Reste au spectateur de trancher en faveur de l’une ou de l’autre. Quelle que soit l’intention de Kim Jin-won, le moins que l’on puisse dire est qu’il ne ménage pas nos méninges tout en faisant mine que si, en flirtant avec les clichés et les terrains connus. Mais gare aux terrains minés. Explications. À ma droite les apparences évidentes et basiques du scénario : Warning: Do not Play relève à la fois du Projet Blair Witch pour son côté found footage, de Ring pour son côté "attention danger : film maudit", et de Scream pour son côté mise en abyme. À ma gauche les options plus obscures : un jeu de va-et-vient bien crypté entre réalité et fiction, doublé de mise(s) en abyme(s), à ce point que le film devient presque une mise en abyme perpétuelle, et que, passé la dernière image, toutes les explications (possession, folie, film du film, fantôme, imagination…) se valent. Mais à l’inverse d’un film de David Lynch, dont on peut ressortir groggy ou sidéré par une abstraction frontale, Kim Jin-won brouille encore plus les pistes en conservant une ligne narrative hyper fluide. Si bien que l’on peut sortir de Warning: Do not Play avec une impression très mitigée, puisque au bout du compte, tout parait évident mais que, à y regarder de plus près, rien n’est clair et ne tient vraiment la route. 


Visionner Warning: Do not Play tient un peu d’une enquête du lieutenant Columbo, à cause de ce petit rien qui nous empêche de ne plus y penser, ce quelque chose qui fait que les scènes s’insinuent dans notre esprit sans que l’on sache pourquoi, ce détail insignifiant qui nous fait douter de plus en plus de la naïveté du cinéaste. Comment une mise en scène aussi impeccable peut-elle se satisfaire d’une fin si médiocre ? Comment un scénario si bien ficelé peut-il tourner en rond à ce point ? Une réponse possible pointe et finit par grossir. Kim Jin-won refuse délibérément toute solution de continuité. Non seulement cela, mais une conclusion simple ne l’intéresse pas. Il veut dépasser le stade fictionnel ou surréaliste. Sous cet angle, Warning : Do not Play s’avère alors une sorte de film total, à la fois narratif, dans une accessibilité apparente, et non narratif, réaliste et absurde, qui pose quelques questions importantes pour son auteur, à savoir la quête d’identité, l’obsession de la créativité, la faculté salvatrice de l’émotion pure (ici la peur ou le frisson ultime), ou encore le pouvoir de l’art et la transmission des émotions à ses semblables. Une scène clef du film, emblématique de ce sabordage, se situe au moment où l’étudiant réalisateur du film secret sort terrifié des lieux du tournage en filmant en caméra subjective, puis s’enfuit en abandonnant ses assistants qui restent assis au premier plan et le regardent s’éloigner. Soit un plan séquence paradoxal, autant impossible que symbolique et, qui plus est, se paie le luxe de passer comme une lettre à la poste. 


Un autre paradoxe surgit quelques minutes plus tard comme une confirmation du sentiment de non-sens, lors d’une séquence magistrale d’une grande confusion, alors que l’héroïne assiste en direct au massacre de l’équipe de tournage filmé et perpétré dix ans plus tôt. Kim Jin-won fait passer son film dans une autre dimension, bien au-delà du film dans le film, une sorte de fiction au carré. Le film devient autonome, sans plus personne aux commandes. C’est à ce moment que Kim Jin-won touche le cœur de son film et rejoint son vrai sujet, en se faisant disparaître en tant qu’auteur, et qu’il pose quelques questions de cinéma : qui, du spectateur ou de l’auteur, fait l’œuvre ? La réalité filmée, le snuff movie (avec ou sans fantôme), est-elle encore de la réalité ? Une expérience de cinéma peut-elle se substituer au réel ? Comme l’affirme Godard, le cinéma est-il la vérité vingt-quatre fois par seconde ? Le rapport à la fiction est ouvertement évoqué à plusieurs reprises. La réalisatrice donne une réponse à son agent lorsqu’il lui demande quelle est la part de vécu dans son histoire : « va savoir » dit-elle. La scène finale, située elle-même à l’occasion d’une projection publique finale vient enfoncer le clou. L’affaire, lors de cette scène, n’est pas de savoir si on est face au film, à la réalité ou à l’imaginaire du personnage : on est partout à la fois.


Sur la forme, la photographie de Yoon Youg-soo est magnifique, s’étalant du très sombre à l’écarlate, éclairant à la perfection des décors glauques et délabrés. La sobriété des dialogues égale leur justesse. On plonge dès le premier plan dans l’univers mental de Park Me-jung, magnétisé par le charisme et les gros plans de la comédienne Seo Ye-ji, comme l’est son personnage par la VHS interdite. La construction du scénario alterne les types de support d’images (métrage, bande magnétique, numérique…) et les temporalités dans un équilibre entier. Les références au cinéma de genre sont légion et assumées comme il se doit. Le gros bémol concerne les scènes de jump scares assez prévisibles et peu efficaces. Les séquences gore restent, elles, subtiles et très réussies. Warning : Do not Play n’a pas fini de diviser tant les lectures demeurent nombreuses. Quoiqu’il en soit, on espère que Kim Ji-won attendra beaucoup moins de douze ans pour livrer sa prochaine production.
M.V.



EN BREF 
titre original : Amjeon
distribution : Ye-ji Seo, Seon-kyu Jin, Bo-ra Kim, Cha Yub, Mi-kyung Kim...
pays d'origine : Corée du Sud
budget :  N.C.
année de production : 2019
date de sortie française : 6 mai 2020 (VOD) - 24 juin 2020 (BD & DVD - Wild Side Video)
durée : 83 minutes
adrénomètre : ♥ 
note globale : 4.5/5

† EXORCISME †
▲ Seo Ye-Ji
▲ Mise en scène
▲ Photographie

- DÉMYSTIFICATION -
▼ Jump scares inneficaces
▼ Complexité
▼ Clichés

LE FLIP 
Votre salle de bain squattée par un fantôme à 3 h du mat' ! 

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