DONNIE DARKO (2001/2002) de Richard Kelly [Critique]


Évaluation du dossier : 5/5 []

Middlesex, Iowa, 1988. Donnie Darko est un adolescent de seize ans pas comme les autres. Introverti et émotionnellement perturbé, il entretient une amitié avec un certain Frank, un lapin géant que lui seul peut voir et entendre. Une nuit où Donnie est réveillé par la voix de son ami imaginaire qui lui intime de le suivre, il réchappe miraculeusement à un accident qui aurait pu lui être fatal. Au même moment, Frank lui annonce que la fin du monde est proche. Dès lors, Donnie va obéir à la voix et provoquer une série d’événements qui sèmeront le trouble au sein de la communauté…

Halloween 2001, alors que l'Amérique peine à se remettre d'une attaque sans précédent, un bien étrange antihéros débarque de nulle part, en même temps que naît un jeune auteur prometteur. 

Du haut de ses 26 ans, Richard Kelly, se positionnait alors et en un seul film comme un sérieux challenger face aux plus grands cinéastes, du moins les plus inspirés et visionnaires du cinéma américain. Un an plus tôt, il obtenait les fonds nécessaires, 4,5 millions de dollars grâce à Drew Barrymore, alors en pleine renaissance après que le star system hollywoodien ait bien failli avoir sa peau. Prévu pour Halloween, c'est la tragédie du 11 septembre quelques semaines plus tôt qui allait inciter les producteurs à annuler la promotion en catastrophe. Avec son réacteur d'avion qui atterrit dans la chambre du personnage principal, le film disparaît des salles US prématurément et n'atteindra même pas les nôtres. Ici, Donnie Darko débarquera directement en vidéo après s'être taillé une petite réputation dans certains festivals (hors Sundance où il a reçu un accueil frileux), dont celui de Gérardmer en 2002. C'est donc par le bouche-à-oreille qu'allait se construire progressivement l'aura culte de ce premier long-métrage.


Le résultat à l'écran est tout sauf conventionnel. Impossible à rentrer dans une case, on y trouve des éléments autant issus de la science-fiction, du fantastique, de l'horreur, de la comédie satirique que du teen movie, le tout traité avec un sens de la dérision plutôt acerbe. Le rythme du film, impeccable, est mené de main de maître par un cinéaste visiblement inspiré et déterminé à imposer sa vision, aussi cryptique soit-elle. Il plante solidement son cadre à la fin des années 80 qui viennent forcément titiller la fibre nostalgique chez certains, mais surtout annoncent des heures sombres pour l'Amérique et qui allaient, ironiquement, se répercuter sur le sort du film 13 ans plus tard. Artistiquement, on fait face à un savant mélange de David Lynch et de Steven Spielberg, avec en habillage musical des hits de Joy Division, Duran Duran ou encore Tears for Fears dont la reprise de Mad World par Michael Andrews et interprétée pour l'occasion par Gary Jules, est devenue depuis incontournable. D'ailleurs, la partition hypnotique d'Andrews (Cypher, Sex Tape), alors quasi débutant à ce poste – il s'est depuis spécialisé dans la comédie –, participe aussi à cette atmosphère étrange et onirique qui plane sur le film.


Mais Donnie Darko, c'est surtout son personnage principal interprété par Jake Gyllenhaal (Zodiac, Life : origine inconnue), encore peu connu du grand public. Il campe un jeune lycéen perturbé et sans filtre, victime de crises de somnambulisme. Il se réveille souvent hors de sa chambre et sa schizophrénie paranoïaque le conduit régulièrement en psychanalyse. Il fait un jour la rencontre d'un étrange lapin qui lui indique un mystérieux compte à rebours avant la fin du monde. Peu de temps après, un moteur d'avion manque de le tuer en s'écrasant sur son lit. Se pose alors la question de l'origine de ce réacteur que les spécialistes ne s'expliquent pas. On sait dès lors qu'une perturbation se joue. Soit dans la tête de Donnie, dont les pathologies pourraient aussi être un don qui lui permet de voir les failles spatio-temporelles, soit dans son environnement, théâtre d'un incompréhensible dérèglement. 


Voyage dans le temps accidentel provoqué par Donnie ou intervention divine ? Le jeune homme est-il au final un rescapé victime d'un bug du destin qui, ironiquement, va se muer en héros ? À quelle fin fait référence le compte à rebours du lapin ? Celle de l'humanité, de la sortie d'une faille spatio-temporelle, de Donnie ? Le film n'est-il qu'une action divine qui a pour but de faire réagir le jeune lycéen afin de sauver sa communauté, un peu à la manière de La Dernière Tentation du Christ (aussi à l'affiche du cinéma qui diffuse Evil Dead dans le film) ?

Plutôt que donner des réponses claires, et il s'y refuse fermement, Richard Kelly préfère nourrir les interrogations, qu'elles soient d'ordre religieux, physique ou métaphysique. Il manie ses indices avec précaution afin d'offrir une grille de lecture, au demeurant très satisfaisante, au spectateur, quelles que soient ses hypothèses et son interprétation finale. D'ailleurs, cette philosophie se veut en harmonie avec celle du personnage principal : aucune question n'a de réponse unique. On se délecte à ce titre des publireportages moralistes que dénigre ouvertement Donnie. Aussi ringards sur la forme qu'idiots sur le fond, ils sont conçus par Jim Cunningham, le personnage trouble interprété par Patrick Swayze (Ghost, Point Break) ici à contre-emploi, pour guider les lycéens sur le droit chemin. Dans sa mission, il peut compter sur Kitty Farmer, vieille bigote aux principes binaires interprétée avec brio par Beth Grant (Chucky 2, la poupée de sang, La Part des ténèbres). On s'amuse aussi de trouver le débutant Seth Rogen (L'Interview qui tueThe Twilight Zone) dans un petit rôle de dur à cuire. Drew Barrymore (CharlieScream) et Noah Wyle (W., l'improbable président) jouent quant à eux les bons professeurs. Enfin,  Holmes Osborne (AfflictionThe Box), Mary McDonnell (Independence DayScream 4) et Maggie Gyllenhaal (The Dark Knight, World Trade Center) interprètent respectivement la mère, le père et la sœur de Donnie


Sous ses allures d’œuvre insaisissable et nihiliste, Donnie Darko parvient pourtant à toucher son public. Grâce, d'une part, à un savant mélange de références pop illustrées par une B.O. jonchée de tubes FM de l'époque, et d'autre part, parce qu'il se positionne comme un teen movie certes un peu cérébral, mais dépeignant avec justesse une jeunesse aux abois et consciente des difficultés qui l'attendent dans le monde extérieur. Autour de ces vicissitudes existentialistes, Richard Kelly fait s'entrechoquer thèses scientifiques, religieuses et surnaturelles, et s'affranchit du manichéisme hollywoodien habituel. Malheureusement, cela le condamnera à une carrière commercialement compliquée puisqu'il ne sortira que deux autres longs-métrages. Un nouveau projet sur le feu s’avère réjouissant puisqu'il s'agit d'un biopic consacré à Rod Serling, créateur de la série télévisée La Quatrième Dimension. En attendant, Donnie Darko demeure la pièce maîtresse de sa trop courte filmographie. Nul besoin de répéter qu'il est chaudement recommandé aux amateurs d'atmosphères étranges et autres énigmes lynchiennes.
N.F.T.

EN BREF
titre original : Donnie Darko
distribution : Jake Gyllenhaal, Jena Malone, Mary McDonnell, Patrick Swayze, Beth Grant...
pays d'origine : États-Unis
budget : 4 500 000 $
année de production : 2001
date de sortie française : 30 janvier 2002
durée : 113 minutes (version cinéma) - 134 minutes (director's cut)
adrénomètre : ♥
note globale : 5/5

† EXORCISME †
▲ Réalisation
▲ Bande originale
▲ Casting béton

- DÉMYSTIFICATION -
▼ Cryptique
▼ Pas de réponse définitive
▼ ...

LE FLIP

Les apparitions du lapin...

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