INCANTATIONS (2017/2019 - DTV) de Lukas Feigelfeld [Critique]

Évaluation du dossier : 3.5/5 []


Dans sa petite ferme au cœur des montagnes, la jeune Albrun mène avec son bébé une existence modeste et retirée du monde. Indépendante et travailleuse, elle tache d'ignorer depuis des années les quolibets des villageois, qui l'accusent d'être la descendante d'une sorcière. Un matin, un prêtre des environs lui remet un cadeau des plus étranges : le crâne de son aïeule, sorcière avérée selon lui. La raison d'Albrun vacille alors : que signifient les visions et comportements étranges qu'elle a depuis quelques temps ? Quel sang coule réellement dans ses veines ?


Avec Incantations, Lukas Feigelfeld signe un premier long-métrage audacieux, à la radicalité saisissante. Le réalisateur autrichien réussit haut la main son baptême du feu, grâce à un véritable don pour la composition des plans et une maîtrise rythmique dont l'approche lente et lancinante donne d’autant plus d'impact aux rares scènes éprouvantes.


Au pays des jaquettes ambiguës, Incantations a sûrement une place réservée quelque part. Non pas que le film n'honore pas le contrat visuel horrifique qui s'établit au regard du boitier du DVD (bien au contraire) mais disons que pour ceux qui y reconnaissent une cousine de Sadako surgissant d'un lac pour trucider d'innocentes proies, risquent d’être fort déçus. Ce petit détail évacué, plutôt insignifiant au vu de la proposition qu'il cache en réalité, venons-en au contenu qui, heureusement, rattrape vite ce petit couac mercantile.


L'Autrichien Lukas Feigelfeld signe ici son premier long-métrage, et il faut bien l'admettre, fait preuve d'une maîtrise insolente, autant dans le traitement de son sujet que par la technique employée pour le transposer à l'écran. Son objectif de base est simple : mettre en image les légendes qui animaient les Alpes autrichiennes, là où vivent encore une partie de sa famille. Comme il l'a expliqué en interview, ces histoires de sorcellerie sont encore très prégnantes dans les communautés rurales. Dans ce contexte difficile, imprégné de menaces primitives et de paranoïa, Feigelfeld dépeint le quotidien d'une femme isolée, confrontée aux difficultés de son époque. Persécution, solitude et divers traumatismes faisant vaciller l'état mental de la jeune maman. 

Se dispensant du réalisme qu'apporterait aisément l'utilisation de la caméra à l'épaule, c'est au travers d'une succession de plans soigneusement composés, dont la saveur mystico-poétique n'entrave en rien le fort sentiment d'authenticité, que naît cette impression de recherche documentaire. L'effroi s'en trouve décuplé lors des rares scènes de violence, aux limites du supportable. Là est sans doute l'une des réussites d'Incantations, dans ce mélange de réalisme cru teinté de fantastique dont le résultat s'avère si perturbant qu'il est sans doute à réserver à un public averti.


Incantations entre dans la catégorie des objets filmiques non identifiés. Radical dans son propos, à contre-courant, bénéficiant d'une superbe photographie signée Mariel Baqueiro, il a aussi la  particularité de contenir très peu de dialogues. Cela oriente l'oeuvre vers quelque chose de très atmosphérique – donc à déconseiller aux allergiques des récits qui prennent leur temps – et entraîne incidemment un gros travail d'habillage sonore, histoire de conserver un minimum de dynamisme. Le travail sur le score "ambient" aux sonorités organiques, signé MMMΔ mohammad et les bruitages en Dolby vous plongent au cœur de "l'action" alors que les plans fixes s’enchaînent, évoquant de vieux tableaux d'inspiration rurale. Le réalisateur confie s'être inspiré de la peinture "Die drei Lebensalter und der Tod" (Les Trois âges et la mort) de Hans Baldung en plus de cinéastes tels le Polonais Andrzej Zulawski, le Soviétique Andrei Tarkovski ou encore le Tchèque Frantisek Vlacil .


Incantations est divisé en quatre chapitres : Ombre, Corne, Sang et Feu qui peuvent être associés aux quatre étapes marquantes de la vie d'Albrun, magnifiquement interprétée par Aleksandra Cwen durant lesquels on suit l'évolution de sa psyché vacillante. Le récit engendre de nombreuses interrogations sur l'influence réelle de l'ancêtre d'Albrun, d'autant que la jeune femme semble parfois maîtriser un savoir inné, ou ses traumas ont-ils finalement raison d'elle ? Les réponses ne sont pas toujours évidentes, Feigefeld s'assurant de proposer des pistes sans donner de réponses claires, notamment sur la nature de l'inattendu plan final...


Plutôt radical dans son approche, autant sur le fond que la forme, Incantations n'est pas ce que l'on appelle une oeuvre aisément accessible. Toutefois, pour les amateurs de symbolisme, de contes et légendes moyenâgeux et œuvres étranges et mystiques tels The Witch, Mother ou plus récemment le Norvégien Valley of Shadows, il est possible de se laisser emporter dans le tourbillon malaisant d'Incantations. Ses lenteurs, parfois pesantes, devront être transcendées pour toucher du doigt la profondeur poétique qui s'en dégage malgré un contexte malsain. Un tour de force technique qui nous fait déjà tendre l’œil (aïe !) vers le prochain projet du réalisateur autrichien qui s'annonce plus contemporain et engagé. À suivre donc...
N.F.T.


EN BREF
titre original : Hagazussa
distribution : Aleksandra Cwen, Celina Peter, Claudia Martini...
pays d'origine : Autriche / Allemagne
budget : N.C.
année de production : 2017
date de sortie française : 31 juillet 2019 (Blu-ray & DVD - Condor Distribution)
durée : 98 minutes
adrénomètre : ♠
note globale : 3.5/5

† EXORCISME †
▲ Réalisation soignée
▲ Superbe photographie
▲ Glauque

- DÉMYSTIFICATION -
▼ Lent, très lent
▼ Très peu de dialogue
▼ Glauque


LE FLIP
Les accès de folie d'Albrun

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Le Chemin sans retour



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